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Césaire volcanique Jean Khalfa CÉSAIRE, UN POÈTE CÉLÉBRÉ PAR BRETON pour avoir produit «le monument lyrique de notre temps», Le Cahier d'un retour au pays natal (1939), invente dans les années 80, après un silence poétique de 20 ans, une poésie de la minéralité et du roc où le moi n'est plus liminaire à l'expression poétique, et encore moins luminaire ou lampadophore, mais humble et obscur, un moi laminaire1 du nom soit d'une famille d'algues longues et plates qui s'accrochent aux rocs sous-marins, soit peut-être aussi, en mécanique des fluides, de ce régime d'écoulement de vents et de liquides en un mince ruban où les turbulences sont à leur plus faible. Un moi végétal, résolument non-cartésien, si l'on songe que pour Descartes les éponges et les huîtres sont la preuve a contrario du privilège humain de la pensée (si l'on accordait la pensée aux animaux, qui ne parlent pas, il faudrait le faire pour ceux-là aussi, pourtant si visiblement imparfaits, et leur supposer une âme éternelle)2. Mais un moi aussi dépourvu désormais de ces turbulences de l'infini intérieur que l'expérience de la mescaline révélait à un Michaux. Or cette évolution est le fruit d'une réflexion continue sur l'écriture ellem ême, réflexion toujours énoncée en termes matériels ou même géologiques, par le biais d'une image singulière de la poésie, bien plus qu'une image en fait, on va le voir: le volcan, ou plus précisément le processus volcanique. Le thème du volcan est essentiel à l'œuvre de Césaire puisqu'il apparaît depuis les premiers poèmes jusqu'aux derniers publiés, toujours connoté positivement , ce qui peut étonner chez un auteur né dix ans après l'explosion de la Montagne Pelée dont la «nuée ardente» détruisit en quelques instants SaintPierre , la capitale de la Martinique, avec ses trente mille habitants. Mais si Césaire déplore souvent que les volcans soient devenus silencieux, c'est qu'il les prend alors comme symboles d'une conscience aliénée vidée de sa capacit é à l'insurrection, repliée sur elle-même, livrée au quotidien, à l'ordinaire, à ce qu'il appelle «la condition mangrove», où On tourne en rond. Autour du pot. On peut très bien survivre mou en prenant assise sur la vase commensale (Moi laminaire... 404) 52 Summer 2005 Jean Khalfa La mangrove, dans l'œuvre de Césaire, est dépeinte comme un marais en décomposition bien plus que comme un lieu de fuite ou de ressourcement comme souvent dans la littérature de la Créolite. Inversement, si le volcan désigne une certaine forme géologique ainsi qu'une certaine réalité géographique , la Montagne Pelée, cette réalité est bien plus qu'un simple décor ou élément thématique, elle est comme le centre autour duquel s'organise tout l'effort de Césaire, au point que pour lui le volcan est non seulement l'objet mais aussi la forme même de l'activité poétique: «Alors quid de la poésie? Il faut toujours y revenir: surgie du vide intérieur, comme un volcan qui émerge du chaos primitif, c'est notre lieu de force; la situation eminente d'où l'on somme; magie; magie» (Poésie 6). «Surgie»: surrection, advenue, verticalité, imminence de l'éminence, d'où l'idée de magie (la poésie est ailleurs définie comme «mot-macumba»). Quelque chose se fait à partir de rien, de l'intériorit é comme vide ou néant, un peu comme chez Manet qui fit de la formule «tout arrive» l'en-tête de son papier à lettre3. Le tout de ce qui est finalement ne fait qu'arriver, mais cet avènement lui-même est de l'essence du miracle, d'où l'exclamation de surprise «tout arrive!». Près d'un demi-si...

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