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Préface Lila Ibrahim-Ouali LA GUERRE D'ALGÉRIE fait partie de ces événements du passé que l'Histoire interroge pour comprendre le présent. Mais la tâche des historiens est rendue complexe, hasardeuse: investir cette période conflictuelle de notre passé récent oblige à se heurter encore à des silences et des douleurs, symptômes d'un refoulement plus que de l'oubli. C'est faire alors le constat amer des rancœurs et des nostalgies. Face au travail du deuil non achevé, l'exploration des archives et l'étude de l'événement ouvrent des plaies toujours à vif, exhibent des séquelles humaines et achoppent sur la définition des enjeux de la mémoire. Cette "salle guerre" ne cesse de hanter les esprits comme le prouvent encore les dernières publications qui s'enchaînent depuis peu à une cadence vertigineuse ou le débat jamais fermé sur le probl ème moral de la torture. D'ailleurs comment construire une mémoire (individuelle et nationale) d'une guerre d'indépendance qui ne portait pas alors ce nom mais celui, euphémisants, d'«événements», ou de «question algérienne», d'«opération de pacification», «d'opération de maintien de l'ordre»...? En outre, comme le note Jean-Pierre Rioux, cette guerre sans dénomination explicite n'a pas de «cadres sociaux» (lieux et dates) aptes à favoriser la construction d'une mémoire collective satisfaisante pour tous les acteurs et témoins de cette période. Le travail de deuil en métropole butte encore sur l'absence «de héros indiscutés [...] de bataille à localisation symbolique, [...] d'ennemis clairement identifiés de bout en bout »'. Force est aussi de constater que si cette guerre demeure un sujet tabou des deux côtés de la Méditerran ée, c'est précisément parce que «quelque chose de la guerre, quelque chose dans la guerre ne trouve pas langue, sens et représentation»2. Ce phrasé récalcitrant de la guerre—tel que l'attestent les différents témoignages, mémoires, ou productions littéraires—ne pouvait être appréhendé tout d'abord que si nous options pour une pluralité des points de vue. Nous avons donc favorisé des regards pluriels, croisés, qui sollicitent l'imaginaire, la mémoire, les sensibilités français et algériens. Ces regards croisés qui ont pour vocation de confronter dans les multiples écrits francophones les points de vue algériens et français permettent une approche de la problématique des camps, interrogent le phénomène de constitution d'une mémoire des deux rives, explorent les déchirures et les silences des deux parts et tentent en somme de «couturer les ruptures» comme le souhaite Assia Vol. XLI, No. 4 3 L'Esprit Créateur Djebar. Ces échanges ont permis de rassembler ici des études sur Genet, Koltès, Barthes, Resnais, Mimouni, Boudjedra, Djebar et aboutissent enfin à un dialogue fécond entre le photographe français Marc Garanger et les romanciers algériens Leïla Sebbar et Nourredine Saadi. Les «excroissances littéraires» auxquelles le travail du soldat-photographe français a donné naissance donnent vie et sens aux photographies de guerre; mieux, elles «permettent de saisir [...] à quel point [la photographie] parle de la guerre en un discours polysémique que seul l'emprisonnement par un autre discours peut circonscrire et canaliser»3. Enfin, elles rappellent que la «mitraille» du photographe a été vécue par les femmes photographiées comme un viol qu'il faut alors pouvoir exorciser. De même, parce que le terrain a encore peu sollicité l'étude, il nous a semblé pertinent d'ouvrir le corpus en admettant la pluralité des genres et des modes d'expression. Du théâtre à la caricature, du récit à la photographie et au cinéma, des écrits polémiques à la prose littéraire, les supports d'analyse sont divers et ne cessent d'interagir comme le montrent la continuité entre l'œuvre cinématographique et narrative d'Assia Djebar ou la sollicitation de l'imaginaire des écrivains algériens par les photographies de Marc Garanger. Cette guerre, entendue comme trouble de...

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