In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

La lettre dans l'œuvre de Gautier ou le mot de la fin Françoise Court-Pérez LA VOGUE DU ROMAN ÉPISTOLAIRE, éclatante au XVIIIe siècle, diminue progressivement avec le roman balzacien. Certes Le Lys dans la vallée apparaît comme une lettre confession qui met en abyme d'autres missives1 mais le temps n'est plus où rayonnait La Nouvelle-Héloïse, où Prévost traduisait—ou plutôt adaptait—Richardson dont Diderot faisait l'éloge2. Walter Scott a ouvert de nouvelles voies. Mäs la lettre a beau ne plus donner sa forme ouverte au roman qui cherche ailleurs sa diversité et sa souplesse, si elle ne lui fournit plus la tessiture d'une voix—celle de la Religieuse de Diderot, Suzanne Simonin, par exemple, voix ferme, innocente et pathétique tout à la fois—elle ne disparaît pas pour autant du roman. Scott ne renie d'ailleurs pas l'héritage du siècle précédent. La longue première partie de Redgauntlet, presque un quart de l'ouvrage, est par exemple constituée par un échange de courrier qui oppose deux philosophies de la vie, la prudence prosaïque et le goût pour le romanesque qui fondent l'équilibre de l'ouvrage et témoignent de la neutralité du narrateur. De nombreuses introductions scottiennes sont également conçues comme des lettres: mais leur caractère fictif peut être dénoncé par une préface préliminaire. Il semble donc en général aussi difficile qu'inutile de renoncer à ce prodigieux ressort que constitue l'écriture épistolaire qui se trouve reconvertie en motif romanesque. Dans l'univers de Scott abondent missives confiées en secret, emportées au galop, volées, retrouvées, porteuses de révélation. La lettre appartient, de façon inhérente à l'univers du roman. Walter Scott opère néanmoins un déplacement important: la fonction de la lettre est désormais assumée par le dialogue, riche, subtil, détaillé, susceptible de mêler humour, et réflexion, toutes caractéristiques inhérentes à la lettre dans le roman du XVIIIe siècle. La voix domine donc encore ainsi que la confrontation des points de vue permise jusqu'alors précisément par l'échange épistolaire. Mais le roman a changé de forme. L'ambivalence de Gautier envers Walter Scott, son amitié pour Balzac dont il comprend l'œuvre novatrice et auquel il consacre une longue étude en 18503, a pour corollaire une forte hésitation envers ce ressort dramatique aisé que constitue la lettre au sein de la fiction. Les contes, nouvelles, romans de Gautier intègrent fréquemment des missives. Mais non sans réticences. Car une distance par rapport à la lettre est fréquemment avouée et même mise en évidence avec humour ou ironie. 50 Winter 2000 Court-Pérez Un pôle majeur d'un des récits les plus connus de Gautier, Spirite, est fourni par une très longue lettre dictée par l'ange à son aimé. Ce récit, qui s'étend des chapitres VII à XII et occupe environ un cinquième du volume, forme le noyau central et poétique du roman. Parallèlement, Mademoiselle de Maupin contient deux lettres essentielles, situées à la fin du texte, et dont l'une constitue le dénouement. A l'inverse, Le Capitaine Fracasse ne contient aucune correspondance essentielle; quant au grammate qui a copié le papyrus relatant le "roman" de la momie Tahoser, il ne s'adresse à personne en particulier. Gautier était assez peu intéressé par sa correspondance personnelle. Cette grande méfiance envers la correspondance en général ne l'empêche pas d'user de tous les artifices de la fiction permettant d'assouplir le tissu narratif et, parmi eux, l'insertion de la lettre. La présence du fragment épistolaire permet aisément de briser la linéarité du récit, d'opérer une mise en abyme de l'intrigue par l'introspection, de varier le ton ou de briser le rythme, avantages essentiels pour cette narration joyeuse, variée, en "caprices et zigzags" pour reprendre le titre d'un...

pdf

Share