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Apprendre à vivre avec les spectres: témoignages des camps nazis et du sida Martine Delvaux Jamais je n'oublierai cette nuit, la première nuit de camp qui a fait de ma vie une nuit longue et sept fois verrouillée.... Elie Wiesel Celui qui a été contemporain des camps est à jamais un survivant: la mort ne le fera pas mourir. Maurice Blanchot 'Ecrire-sur-vivre': si on pouvait écrire-sur-vivre, écrirait-on à la condition d'être déjà mort ou encore de survivre? Jacques Derrida UN CADAVRE. L'ŒIL GAUCHE MANGE par un rat. L'autre œil ouvert avec sa frange de cils./Essayez de regarder. Essayez pour voir".1 Dans Aucun de nous ne reviendra, de Charlotte Delbo, une série de tableaux, prose et poésie confondues, nous entraînent derrière les barbel és d'Auschwitz, à l'intérieur du block, dans les champs, au fond du fossé, devant les amoncellements de cadavres, devant la jambe de bois d'Alice détachée de son corps assassiné, devant la soif de Charlotte qui regarde un ruisseau impossible d'accès... Mannequins, squelettes, ombres, corps diaphanes, spectres, celles qui "reviennent" des camps, qui sortent de cet enfermement et de ces visions d'horreur, ne sont ni mortes ni vivantes: "Si je confonds les mortes et les vivantes, avec lesquelles suis-je, moi"?2 Elles sont néanmoins plus vraies que les livres que Delbo, narratrice, se dit incapable de lire, ou les gens qu'elle ne sait plus regarder, livres et gens qu'elle décrit comme étant "à côté": A côté des choses, à côté de la vie, à côté de l'essentiel, à côté de la vérité [...]. Tout était faux, visages et livres, tout me montrait sa fausseté et j'étais désespérée d'avoir perdu toute capacité d'illusion et de rêve, toute perméabilité à l'imagination, à l'explication. Voilà ce qui, de moi, est mort à Auschwitz. Voilà ce qui fait de moi un spectre. (16-17) Enfermement, spectres et témoignage. Ma réflexion, dans les pages qui suivent, a pour but de relier ces trois termes à partir de la question de la survie: d'abord, celle des "revenants" des camps nazis; ensuite, celle des malades du Vol. XXXVIII, No. 3 51 L'Esprit Créateur sida. D'une part, les survivants des camps effectuent le voyage de retour depuis une mort qui n'a pas eu lieu à une vie marquée des traces de son passage . D'autre part, les personnes atteintes du sida suivent un trajet qui les mène d'une vie vécue dans le spectre d'une condamnation à mort, à une vie posthume, une mort qui demeure inaccomplie. D'une part, l'auteur/e, par son témoignage, en plus de prendre en charge une certaine mémoire collective, tâche de préserver l'indicible de l'expérience qu'il/elle a vécu de l'enfermement concentrationnaire, cet indicible étant le fait même d'avoir sur-vécu, et donc, quelque part, d'être déjà mort et néanmoins toujours vivant. D'autre part, l'auteur/e se représente comme vivant/e malgré la condamnation à mort; il est question d'une sur-vie avant que la mort n'ait "réellement" eu lieu. Accepter les sur-vivants dans leur qualité de spectre, entre le vrai et le véridique3. Accepter ce que Jorge Semprun décrit dans L'Ecriture et la vie comme "le rêve de la mort à l'intérieur du rêve de la vie [...], le rêve de la mort, seule réalité d'une vie qui n'est elle-même qu'un rêve".4 Ou encore: accepter les vivants comme représentants des morts, et les morts comme représentants des vivants; accepter une continuité entre la vie et la mort. Dans Spectres de Marx, Derrida nous enjoint à "apprendre à vivre avec les fant ômes". Il nous invite à devenir responsable, "au-delà de tout présent vivant", des "fantômes de ceux qui ne sont pas encore nés ou qui sont déjà morts".5 Les témoignages de l...

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