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Les retours du procédé: Breton lecteur de Raymond Roussel Derek Schilling Tous les morts peuvent revenir, certes, mais il en est qui sont prédestinés à la hantise. Tels sont les défunts qui, de leur vivant, ont été frappés de quelque infamie ou qui auraient emporté dans la tombe d'inavouables secrets. —Nicolas Abraham, "Notules sur le fantôme"1 IL EST DES PAQUETS QUI, une fois arrivés à destination, obligent leur destinataire à une contrepartie sans commune mesure avec le don qu'ils semblent à première vue offrir. Tel fut le cas lorsqu'en été 1935, André Breton reçut de l'imprimerie Alphonse Lemerre, au 23-33 passage Choiseul, un colis recommandé que lui-même n'avait pas souvenir d'avoir commandé. Aucun indice extérieur pourtant ne permettait de deviner l'intractable devoir auquel l'obligerait l'acte d'en briser les scellés. Or il ne pouvait y avoir retour à l'envoyeur: ce qui parvint alors à Breton sous le couvert d'un livre, signé Raymond Roussel, c'était la voix d'un homme mort depuis presque deux ans. Breton n'était pas seul, paquet en main, à traverser un tel moment d'inquiétante étrangeté. De fait, l'envoi est collectif. Peu avant de se rendre en Italie, où il mettra fin à ses jours en juillet 19332, Raymond Roussel rédige un "testament", sans force de loi, où il donne une topographie précise à la hantise escomptée: Je désire qu'un exemplaire de chacun de mes livres intitulés, l'un "Comment j'ai écrit certains de mes livres" l'autre: "Documents pour servir de canevas"—soit envoyé par la poste et recommandé à messieurs: Robert Desnos 6 rue Lacretelle—Paul Eluard 3 rue Ordener [...] Tristan Tzara aux bons soins de monsieur Paul Eluard 3 rue Ordener—Michel Leiris 12 rue Wilhem [...] André Breton 42 rue Fontaine—René Char 9 rue Considérant [...] Salvador Dali 7 rue Gauget [...] Philippe Soupault 4 avenue d'Erlanger—Louis Aragon 21 rue Saint-Pierre Neuilly sur Seine [...]3 Affranchi, ce revenant singulier vient, à plusieurs exemplaires, hanter surréalistes anciens et actuels, les rappelant à l'ordre du deuil au-delà des scissions dont le souvenir est encore vif. Pour Raymond Roussel, qui à sa dix-neuvième année éprouvait en achevant les derniers vers de La Doublure "une sensation de gloire uni52 Winter 1996 Schilling verseile d'une intensité extraordinaire"4, la renommée littéraire formait l'objet d'une quête obsessionnelle, à jamais frustrée. Si l'envoi posthume de Comment j'ai écrit certains de mes livres visait ceux des artistes ayant, selon une proclamation de Breton, "fait acte de SURRÉALISME ABSOLU"5, c'est que les dadaïstes de jadis furent seuls, à l'exception unique d'Edmond Rostand, à avoir porté un soutien appréciable à la cause littéraire de Roussel. Au début des années 20, quand celui-ci montait , à ses propres frais, des pièces fastueuses adaptées des romans éponymes de 1910 et 1914, Impressions d'Afrique et Locus Solus, les premières publiques ne manquaient pas de faire événement. Aux lendemains des représentations, Desnos et Breton avaient envoyé à Roussel des exemplaires dédicacés de La liberté ou l'amour et des Champs magn étiques afin de marquer leur reconnaissance commune pour l'audacité poétique et la souveraineté de l'imaginaire qui faisaient alors la signature de Roussel6. Aux poètes surréalistes, cependant, le Roussel de l'outre-tombe ne rend pas son dû en espèces. "Je me suis toujours proposé d'expliquer de quelle façon j'avais écrit certains de mes livres", commence le testament de Roussel (CO, 11). Dans un exposé serré, appuyé par de nombreux exemples autographes, l'auteur fera le don posthume d'un "procédé très spécial", poétique secrète et inédite dans tous les sens du mot: "ce procédé, il me semble qu'il est de mon devoir de le révéler, car j'ai l'impression que des écrivains de l'avenir pourraient peut-être l'exploiter avec fruit" (11). Le "procédé" de Roussel n'en est pas exactement...

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