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Remarques sur l'enseignement de la poésie au lycée Yves Bonnefoy Professeur honoraire au Collège de France JE VOUS REMERCIE de m'avoir invité à participer à la solennité de votre rentrée universitaire. C'est un honneur auquel je suis d'autant plus sensible que je n'ai eu pour ma part, dans ma jeunesse, que des rapports assez intermittents et bizarres avec l'Université, si bien d'ailleurs que je n'ai que peu de diplômes, et en particulier je suis privé de celui qui a, dans notre pays, le plus de prestige, l'agrégation. Ce titre m'a-t-il manqué? Pas vraiment pour trouver ma place parmi ceux qui enseignent, qui ont eu cette chance, ce privilège, car j'ai été invité à donner des cours à quelques reprises, après quoi j'ai occupé une chaire de réflexion sur la poésie. Mais ce ne fut pas sans susciter quelquefois de l'étonnement, sinon de la suspicion, si courant est-il de penser que l'agrégation est la grande clef, et qu'on doit l'avoir bien visible entre ses mains quand on a pénétré dans la salle des professeurs. Je me souviens qu'une fois, il y a à peine quelques années, j'avais été invité à faire une conférence dans une grande université. Et comme je traversais un vestibule en direction de l'auditorium, en compagnie du professeur qui me recevait, voici que nous croisons le président de ces lieux, auquel on me présente et qui me fait très gracieux accueil. Après quoi, mon hôte et moi, nous reprenons notre marche, mais le président fait un signe à mon compagnon, qui va le rejoindre, et tous deux de parler pour quelques instants à voix basse, avant que l'un ne s'éloigne à nouveau, et que l'autre ne me revienne, riant un peu. "Savez-vous ce qu'il voulait savoir?" me dit celui-ci. "Non, ma foi." "Eh bien, il m'a demandé: "Est-il agrégé?" Vous riez peut-être, vous-même, comme le faisait mon collègue de ce jour-là , et si j'évoque ce souvenir, c'est bien un peu parce que, moi aussi, je pense que la question ne s'imposait pas vraiment, en tout cas en cette minute. Mais ne croyez pas que je l'aie trouvée, pour autant, absurde, et à la réflexion il m'a paru, même, qu'il fallait bien, pour venir si tôt à l'esprit, pour réclamer réponse avec tant d'impatience presque angoissée, qu'elle ait quelque motivation plus solide que le plaisir de faire partie d'une caste ou le refus des pensées non formées par certaines bonnes méthodes. J'ai même estimé, voyez-vous, que cette préoccupation était 106 Fall 1996 Bonnefoy née d'un sentiment de sacré; qu'elle attestait que le mot agrégation—un beau mot, d'ailleurs, qui fait penser aux grains sur la grappe, aux grains qui mûrissent ensemble, se faisant peu à peu comme transparents, autant que dorés, dans les rayons du soleil d'automne—faisait signe en direction d'une transcendance, tels les épis de blés ou les figures voilées que l'on montrait aux fidèles dans les mystères antiques. Et comme cette expérience d'une transcendance, d'un absolu, d'un engagement qui ne peut donc être que sans retour, ni réserve, était donc associée, dans le cas présent, au souci de l'enseignement, au désir de partager le savoir, il m'a aussi paru évident qu'il y avait là quelque chose de remarquable, de respectable, qui demandait réflexion plutôt que défiance. Dans l'émotion de l'agrégé, qui semble naître au point de fuite commun à toutes les disciplines qu'il pratique, y a-t-il vraiment l'expérience d'un absolu, d'une transcendance? Et quelle est au juste cette dernière? Et comment se fait-il que ce qui pourrait sembler ainsi retenir dans un tête-à -tête avec...

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