In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

Avatars Monique Wittig VOICI QUATRE EXERGUES concernant le moi dont la teneur est familière à tous. Ils viennent ici en épigraphe au travail de Nathalie Sarraute. D'abord le "connais-toi toi-même" de Socrate que Sarraute ne peut s'empêcher de parfois tourner en dérision. Montaigne l'a amélioré sous cette forme: "Connais-toi toi-même, fais-toi". Et le questionnement de Pascal: "Qu'est-ce que le moil Un homme qui se met à la fenêtre pour voir les passants, si je passe par là , puis-je dire qu'il s'est mis là pour me voir? Non; car il ne pense pas à moi en particulier. Mais celui qui aime quelqu'un à cause de sa beauté, l'aime-t-il? Non; car la petite vérole, qui tuera la beauté sans tuer la personne, fera qu'il ne l'aimera plus. Et si on m'aime pour mon jugement, pour ma mémoire, m'aime-t-on, moil Non; car je puis perdre ces qualités sans me perdre moi-même. Où est donc ce moi, s'il n'est ni dans le corps, ni dans l'âme? Et comment aimer le corps ou l'âme, sinon pour ces qualités, qui ne sont point ce qui fait le moi, puisqu'elles sont périssables? Car aimerait-on la substance de l'âme d'une personne abstraitement, et quelques qualités qui y fussent? Cela ne se peut, et serait injuste. On n'aime donc jamais personne, mais seulement des qualités"1. Et enfin le questionnement de Beaumarchais dans Le Mariage de Figaro auquel Sarraute se réfère à propos de Tu ne t'aimes pas. "Quel est ce moi dont je m'occupe, un assemblage informe de parties inconnues"2. Les deux premières citations sont en relation paradoxale avec les textes de Sarraute. Les deux dernières ont avec eux un rapport de contigu ïté. Celle de Pascal a l'avantage de poser la question du moi de la même façon que Sarraute en fonction de l'amour. Pascal ne répond pas à la question qu'il a posée. "Qu'est-ce que le moi?" sinon à dire "qu'on n'aime jamais personne..." Est-ce dire que l'amour n'existe pas? Ou qu'il n'y a pas de moi? (On dirait une réponse d'artifice comme quand Ulysse répondait à Polyphème, le cyclope, qui lui demandait son nom. "Je m'appelle personne".) Il n'y a personne qu'on puisse dire là où on aime. Alors donc que ces phrases de Socrate, Montaigne, Pascal, Beaumarchais servent de frontispice auxquelles on peut toujours revenir si besoin est. Tu ne t'aimes pas a éclaté comme un coup de tonnerre dans le champ Vol. XXXVI, No. 2 109 L'Esprit Créateur littéraire créé par Sarraute. Il est comme geste de retournement sur toute son œuvre et incite le lecteur à la lire à rebours à partir de ce dernier texte. La question du "je" était posée déjà dans Entre la vie et la mort, "disent les imbéciles", L'Usage de ¡aparóle, fondée "sur cette évidence—ou estce une folie—que chacun de nous est à lui seul l'univers entier, qu'il se sent infini, sans contours"3. Cette question dans Tu ne t'aimes pas s'articule autour des notions communes d'Amour et de Bonheur, ces lieux communs énormes, ces "monuments", suivant le terme de Sarraute, qu'elle s'est exercée à faire basculer depuis ses premiers livres. Sarraute n'a pas cessé de les décrire, ces monuments à la fois littéraires et de la vie sociale comme la fabrication à la fois de la littérature et de la langue commune imbue de littérature, quand sous leur couvert ils s'imposent à du nonnomm é et le rigidifient. Ici dans l'œuvre de Sarraute on a affaire à deux fuseaux, le littéraire et le philosophique, et ils sont imbriqués. Le littéraire pour arriver à ses fins de transformation passe forcément par la destruction des genres littéraires englués dans l'Amour, le Bonheur, le Moi, —ou...

pdf

Share