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  • Les damnées de la caisse. Grève dans un hypermarché by Marlène Benquet
  • Sylvain Pattieu
Marlène Benquet. - Les damnées de la caisse. Grève dans un hypermarché. Bellecombe-en-Bauges, Éditions du Croquant, 2011, 238 pages. « Savoir/agir ».

Une grève « improbable » : c’est ainsi que Marlène Benquet qualifie, dans son propos liminaire, le mouvement social qui a touché pendant deux semaines l’hypermarché Carrefour du Grand Littoral, dans les quartiers nord de Marseille, au mois de février 2008. Alors que les trois organisations syndicales FO, CFDT et CGT avaient appelé à une journée de grève inter-enseignes le 1er février, le magasin du Grand Littoral a été le seul à reconduire le mouvement. L’auteure prévient d’emblée : « Le lecteur ne trouvera […] pas dans ces pages le récit d’une mobilisation exemplaire aboutissant à une victoire éclatante, mais celui d’une action collective difficile, menée par des salariés inexpérimentés et vivant souvent à cette occasion leur première mobilisation ». Elle inscrit son travail dans un renouveau de l’intérêt des sciences sociales pour les mobilisations professionnelles, avec une attention particulière portée par la sociologie à l’émergence d’actions collectives dans les secteurs [End Page 161] d’emploi précaire. Les chercheurs se penchent souvent en priorité sur les ressources mobilisées par les salariés pour entrer en conflit. Pour Marlène Benquet, une telle approche permet de comprendre la possibilité d’une action collective mais pas son engagement effectif. Elle se pose donc la question de la « perception par les salariés de leur situation professionnelle » et retrace la « genèse d’un sentiment d’injustice collectivement partagé ». Une telle approche permet de comprendre pourquoi la grève a eu lieu dans cet hypermarché, alors que tous les salariés de la chaîne disposent de ressources semblables, et comment cette action a pu être menée dans des conditions de précarité salariale et de faiblesse syndicale. L’étude de cette grève permet donc, à partir d’une échelle micro, d’analyser les mécanismes qui conduisent au conflit social.

Pour mener à bien son enquête, Marlène Benquet a démissionné de l’emploi de caissière qu’elle occupait, dans le cadre de ses recherches, dans un hypermarché en périphérie d’une grande ville. Cette expérience au sein du groupe Carrefour, même raccourcie, lui a permis d’avoir une connaissance personnelle des conditions de travail de ses enquêtées. On peut rapprocher cette démarche de celle de jeunes sociologues du monde du travail comme Nicolas Jounin5 ou Sébastien Chauvin6. À Marseille, elle a pu entrer en contact, quinze jours après la fin de la grève, avec le délégué CFDT du Grand Littoral, élément moteur de la mobilisation, ce qui l’a cependant privée, compte tenu des dissensions syndicales, de relations avec les représentants de la CGT. Elle a mené de nombreuses discussions et observations avec des salariés très divers, pour la plupart non syndiqués. Les entretiens, les matériaux fournis par les salariés, les bilans sociaux du magasin ont constitué un premier corpus de données. Ils ont été complétés quelques mois après par un second séjour à Marseille, afin de mieux prendre la mesure de l’histoire économique, sociale et syndicale des quartiers nord. Marlène Benquet a donc envisagé le conflit à trois échelles distinctes : celle des évolutions historiques du salariat, avec un triple mouvement de tertiarisation, de féminisation et de précarisation, celle du groupe Carrefour et de sa politique salariale, enfin l’échelle locale marseillaise.

Les deux premiers chapitres de l’ouvrage sont consacrés à la condition de caissière. Si la notion de précarité est cruciale, ce terme renvoie à des conditions salariales qui recouvrent diverses formes d’insécurité professionnelle, à l’encontre du modèle stabilisé de la « société salariale » défini par Robert Castel. Cette précarité ne peut être réduite à une simple instabilité et, là encore à l’instar des travaux de N. Jounin et...

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