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  • Ouvriers malgré tout. Enquête sur les ateliers de maintenance des trains de la Régie autonome des transports parisiens by Martin Thibault
  • Christian Chevandier
Martin Thibault. - Ouvriers malgré tout. Enquête sur les ateliers de maintenance des trains de la Régie autonome des transports parisiens. Paris, Raison d’agir, 2013, 331 pages. Préface d’Olivier Schwartz. « Cours et travaux ».

Martin Thibaud s’attendait à être encouragé par la RATP mais, dans une entreprise où il a été remplacé par « agent » ou « opérateur », ses interlocuteurs se sont inquiétés de l’entendre prononcer le mot « ouvrier » : « C’est Zola votre truc ! » On lui a bien proposé de travailler sur les machinistes, les conducteurs, et même de financer une telle étude, mais il n’était pas question de s’intéresser aux ouvriers, démarche qui semblait révélatrice d’une conception somme toute fort controuvée du monde du travail. Les travailleurs des services de la maintenance sont pourtant nombreux, une dizaine de milliers à la RATP dont ils constituent près d’un quart des effectifs. Mais il s’agit d’un personnel invisible, ni en contact avec le public, ni dans les métiers-rois de l’exploitation que l’on voit conduire rames et véhicules. Face à son entêtement, on ne l’a même pas laissé pénétrer dans l’enceinte de l’entreprise et, à l’en croire — car l’on imagine mal un chercheur qui sur un tel thème ne prendrait pas tous les prétextes pour pénétrer, fut-ce en totale infraction, sur le site qu’il étudie, sauf à adopter ce principe comme élément constitutif de sa démarche —, toute sa recherche s’est déroulée à l’extérieur. Les entretiens sont donc, avec les rapports plus informels d’un suivi de plusieurs années pendant lesquelles se transforme le décor du bistrot longuement fréquenté, la principale source d’une recherche dont le praticien nous décrit les modalités, parmi lesquelles des déjeuners prévus quelques jours auparavant. Mais cette pratique n’est pas sans danger. Même s’il lui en coûte de l’écrire, l’auteur se demande : « L’amitié entre l’enquêté et l’enquêteur résiste-t-elle à l’objectivisation ? » Petit-fils d’un cheminot qui voulait qu’il entre à la SNCF tandis que lui-même s’efforçait de garder ses distances vis-à-vis de son terrain à la RATP, l’auteur n’hésite pas à employer la première personne du singulier. L’obsession de la trahison qu’il manifeste (partie prenante de la névrose de classe, nous expliquerait sans doute Vincent de Gauléjac7) relève de cette dimension éthique qu’il n’hésite pas à interroger. À cet égard, la postface (« Un traité de funambulisme ») se révèle très précieuse. Son enquête de terrain repose sur les relations d’amitié avec ces ouvriers de sa génération, présentée un peu abusivement comme « une originalité ». Mais si la question se pose, c’est aussi parce qu’il s’agit là d’un travail de longue haleine, une [End Page 164] maîtrise commencée en 2004 puis une thèse, soutenue en 2012, qui devient un livre l’année suivante. Un des premiers atouts de cette enquête en est la longueur, qui a permis à l’auteur d’entretenir des liens durables avec le petit groupe d’ouvriers, de les revoir, de constater puis de comprendre les changements.

Les héros de l’ouvrage sont de jeunes ouvriers qualifiés, plus longtemps scolarisés que ceux qui sont devenus OS, munis d’un BEP voire d’un « bac pro », qui attendaient beaucoup de leur embauche par la RATP. Prolongeant une enquête menée dans les années 1950 par Andrée Andrieux et Jean Lignon, il reprend leur néologisme « évasionniste » pour désigner ces ouvriers qui regardent ailleurs, dans leur vie de tous les jours comme dans leurs perspectives professionnelles, pour s’évader de la condition ouvrière. Cette fuite de l’usine, espérée...

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