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  • Pour saluer Jean-Marie Mayeur (1933-2013)
  • Antoine Prost

Jean-Marie Mayeur nous a quittés le 8 octobre dernier. Il publiait peu dans le Mouvement Social car ses travaux d’histoire politique et religieuse l’ancraient dans d’autres revues. Sa disparition nous émeut cependant, comme beaucoup d’autres historiens : avec lui, nous avons perdu plus qu’un collègue, une référence.

C’était d’abord un universitaire qui assumait pleinement toutes les obligations de sa chaire : la recherche, assurément, mais d’abord l’enseignement qu’il aimait, la direction de thèses et de travaux, l’animation de recherches collectives, la participation, formelle ou informelle, aux diverses instances d’évaluation universitaires. Je n’alourdirai pas cet hommage du détail de ses ouvrages, qu’on trouvera en note. Sa thèse sur l’abbé Lemire révélait déjà son intérêt croisé pour la politique et la religion, et sa manière, précise, dense et pourtant très humaine. L’abbé Lemire, prêtre démocrate, député d’Hazebrouck, promoteur entre autres des jardins ouvriers, s’était vu interdire par son évêque de dire la messe parce qu’il avait été en 1902 candidat à la députation bien qu’il le lui eût défendu. Je n’égrènerai pas non plus la carrière qui le conduisit en 1981 à Paris-IV où il exerça pendant une vingtaine d’années. Je dirai seulement, car j’en peux témoigner, que ses doctorants lui ont manifesté, comme à son épouse Françoise, qui avait sorti de l’oubli l’enseignement secondaire féminin, un attachement, une reconnaissance quasi filiale.

S’il était incontesté parmi les collègues, il le devait d’abord à ses qualités d’historien. Il était d’une rare rigueur, ne laissant rien passer, citant à point nommé un article publié dans une revue introuvable. Il avait le génie de la mise au point, érudite et pourtant attentive aux grandes interprétations. Il allait toujours à l’essentiel et le détail, chez lui, devait venir à l’appui d’une explication. Il aimait la discussion. Il avait autrefois participé aux rencontres informelles d’historiens de la religion que Marc Venard organisait l’été près de Vienne-sur-Rhône. L’historiographie en dira un jour l’importance pour le renouveau d’une histoire religieuse œcuménique dans son empan, et soucieuse de ne pas explorer seulement des sacristies et des nonciatures. Il a été l’un des principaux acteurs de ce renouveau qu’illustre notamment la grande Histoire du Christianisme dont il a dirigé les deux derniers tomes. Il a animé plusieurs entreprises collectives, notamment prosopographiques, lorsqu’il dirigeait l’Institut d’histoire moderne et contemporaine du CNRS.

Sa personnalité comptait beaucoup. Vif, voire incisif, avec un regard malicieux derrière ses lunettes et un humour qui donnait aux situations leur juste importance, il était aussi bienveillant, prévenant, attentif aux êtres, à ce qu’ils disaient et faisaient, à leur devenir. Exigeant et travailleur, toujours strictement vêtu, il pouvait donner une fausse impression d’austérité, mais il était profondément joyeux et non morose, en plein accord avec lui-même. Il savait ce qu’il valait, mais il était modeste et ne cherchait pas à se mettre en avant. Est-ce l’ethos démocrate-chrétien ? En tout cas, il était du côté où l’on rend service, et non où l’on cherche le pouvoir. Profondément indépendant, il n’appartenait à aucune coterie et savait rendre justice aux travaux sérieux, d’où qu’ils viennent. Cet ensemble de qualités lui valait la reconnaissance [End Page 119] unanime des collègues. Souhaitons que son souvenir serve d’exemple : l’Université a besoin de professeurs qui assument aussi totalement que lui leurs multiples fonctions avec le même respect des personnes.

Principaux ouvrages de Jean-Marie Mayeur : La séparation de l’Église et de l’État, 1905 (R. Julliard, coll. « Archives », 1966), rééd. sous le titre La séparation des Églises et de l’État (Les Éditions de l’Atelier, 2005) ; L’abbé Lemire, 1853-1928, un pr...

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