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  • La philanthropie en Amérique. Argent privé, affaires d'État by Olivier Zunz
  • Axelle Brodiez-Dolino
Olivier Zunz . - La philanthropie en Amérique. Argent privé, affaires d'État. Paris, Fayard, 2012, 376 pages. Traduit de l'anglais (États-Unis) par Nicolas Barreyre.

On connaissait déjà Olivier Zunz, professeur d'histoire à l'université de Virginie et membre associé du Centre d'études nord-américaines de l'EHESS, pour plusieurs ouvrages sur l'histoire des États-Unis1. L'auteur propose ici un nouveau prisme de lecture de la société et de la culture américaines : la philanthropie. L'ouvrage, divisé en neuf chapitres, repose sur une double approche. Synchronique d'une part, pour montrer qu'au-delà des grandes fondations, relativement bien connues (Rockefeller, Ford, Carnegie...), l'importance de la philanthropie américaine résulte d'une convergence avec un autre courant, le « don de masse » (p. 10). Diachronique d'autre part, pour dégager des rapports entre philanthropie et pouvoirs publics trois temps successifs : sous Hoover, une volonté d'instrumentalisation du secteur par l'État fédéral ; sous Roosevelt, au contraire, une volonté d'autonomie de l'État dans la distribution des aides publiques ; depuis Johnson, enfin, une complémentarité dans la coopération et la mise en place d'une « économie mixte du don » originale (p. 14).

Après la guerre de Sécession, l'Amérique connaît un développement inédit des grandes fortunes (chap. 1). Alors que la charité était jusqu'alors consacrée à des causes circonscrites, ces nouveaux millionnaires ne visent rien moins que le « bien de l'humanité », nationalement et au-delà des frontières. Abordant la philanthropie en hommes d'affaires, ils cherchent aussi à traiter les problèmes à la racine. Ce tournant idéologique s'appuie sur des évolutions législatives : autorisation de dons souples et généralistes ; développement des « fondations » et possibilité, dès 1913, d'exemption du nouvel impôt sur le revenu. Dans un premier temps, les philanthropes investissent massivement dans l'éducation et la science (ainsi les Fondations Carnegie et Rockefeller), mais également la reconstruction et la modernisation du Sud (Julius Rosenwald ou Russel Sage).

Parallèlement, la philanthropie américaine doit aussi fondamentalement son essor à l'action de masse, portée par les couches moyennes et populaires (chap. 2). Celle-ci débute avec la lutte contre la tuberculose et l'importation en 1908 de la campagne danoise de souscription de timbres, en partenariat avec la Croix-Rouge. La « transformation conceptuelle » est alors de faire investir les couches populaires certes dans l'épargne, mais aussi la philanthropie, en imposant « l'une et l'autre comme complémentaires, et non antagonistes » (p. 60) : le développement de l'hygiénisme, en profitant à la société, sert aussi l'individu donateur. Au niveau local, les associations se fédèrent en « caisses de communauté » pour mutualiser et décupler leurs collectes, aujourd'hui fédérées dans la puissante United Way. Les « fondations de communauté » [End Page 99] visent surtout les classes moyennes, pour transmettre les héritages à des institutions de proximité œuvrant pour le bien commun. La Grande Guerre provoque une massification du don, à l'instigation du gouvernement, sous l'égide de la Croix-Rouge et grâce au développement des campagnes de communication : la contribution à l'effort de guerre est présentée comme un véritable « devoir national » (p. 75). Le mouvement perdure et le don devient, à partir des années 1920, « une valeur américaine, intégrée à la norme sociale et même au mode de vie américain » (p. 82).

Mais ce développement n'est pas sans incidences politiques et économiques (chap. 3). « Naquit alors une obsession étonnante, qui parcourt tout le siècle jusqu'à aujourd'hui : celle des législateurs, des fonctionnaires et des philanthropes eux-mêmes à maintenir une impossible barrière étanche entre philanthropie et politique » - car « œuvrer au bien public exige un engagement civique, qui prend bien souvent des formes politiques » (p. 90). Le second XIXe siècle avait vu un progressif élargissement du périmètre acceptable : si les tribunaux de succession invalidaient par principe les...

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