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  • Artistes, intermittents, précaires en lutte. Retour sur une mobilisation paradoxale by Jérémy Sinigaglia
  • Luc Sigalo Santos
Jérémy Sinigaglia. - Artistes, intermittents, précaires en lutte. Retour sur une mobilisation paradoxale. Nancy, Presses universitaires de Nancy, 2012, 276 pages.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’ouvrage de Jérémy Sinigaglia est d’actualité : sa publication, en avril 2012, intervient en effet deux mois seulement après celle du rapport annuel de la Cour des comptes, largement relayé par la presse, qui soulignait, entre autres choses, la « persistance d’une dérive massive » du régime de l’intermittence du spectacle. Dans cet ouvrage issu d’une thèse de sociologie soutenue en 2008, l’auteur concentre son attention sur les mobilisations d’ampleur induites par la réforme restrictive de ce régime adoptée en juin 2003.

Le régime de l’intermittence, dont le périmètre est défini par les annexes viii et x du régime général d’assurance-chômage de l’Unédic adoptées en 1964 et 1969, a été mis en place afin de pallier les risques inhérents à une forme d’organisation du travail par projet particulièrement flexible dans le spectacle vivant et l’audiovisuel, où l’extrême fugacité des engagements conduit bon nombre d’artistes et de techniciens à alterner régulièrement périodes de travail salarié et temps non rémunéré éligible à l’indemnisation du chômage. L’accès à ce régime d’indemnisation est conditionné à l’accomplissement d’un volume minimal d’heures de travail sur une période de référence, fixé depuis la réforme de 2003 à 507 heures sur dix mois et demi pour les artistes et sur dix mois pour les techniciens. Financé par solidarité interprofessionnelle depuis le début des années 1980, le régime de l’intermittence est régulièrement remis en cause depuis les années 1990 au nom du déficit important qu’il est accusé de faire peser sur les comptes de l’Unédic – chiffré par la Cour des comptes à un tiers du déficit total pour l’année 2010. En dépit de la doctrine paritaire censée régir le fonctionnement de l’Unédic, l’État, via les ministères de la Culture et du Travail, joue de fait un rôle central dans l’arbitrage du conflit qui oppose à échéances régulières les organisations patronales aux syndicats de salariés, au premier rang desquels la CGT, majoritaire dans le secteur. De ce point de vue, la « crise » de 2003 suit un scénario relativement routinisé 4. Toutefois, comme la modification des règles d’indemnisation a été en l’occurrence plus importante que par le passé, le conflit a gagné en intensité et conduit notamment à l’annulation de plusieurs festivals au cours de l’été 2003 – dont celui, emblématique, d’Avignon.

Les intermittents du spectacle et les réformes régulières de leur régime d’indemnisation ont fait l’objet ces dix dernières années de nombreux travaux de sociologie [End Page 119] et de science politique : outre ceux de Pierre-Michel Menger, initiés dans les années 1980, on mentionnera – sans prétendre à l’exhaustivité – ceux de Serge Proust, de Chloé Langeard, de Mathieu Grégoire ou encore de Bleuwenn Lechaux. Qu’apporte Jérémy Sinigaglia sur un objet à ce point investi ? L’ouvrage, qui s’inscrit explicitement dans la sociologie du militantisme – un courant de recherche très actif depuis une vingtaine d’années en France 5 –, interroge à nouveaux frais l’argument sociologique classique qui fait de la pauvreté et de la précarité des obstacles à la mobilisation collective 6. À partir d’une enquête ethnographique menée entre 2003 et 2006 par observation et entretiens auprès de deux collectifs d’intermittents et de précaires en lutte, l’un parisien, l’autre lorrain, l’auteur montre que l’hyperflexibilité du mode d’emploi des intermittents et l’individualisation paroxystique de leurs carrières ne constituent pas en elles-m...

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