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  • Intermédiaires culturels et mobilisations dans les mondes de l’art
  • Olivier Roueff (bio) and Séverine Sofio (bio)

L’histoire des formes artistiques et celle de leurs producteurs sont de mieux en mieux documentées, grâce notamment aux renouvellements de l’étude des différents arts et aux croisements entre perspectives historique, sociologique et économique. Deux thèmes ont été particulièrement travaillés ces dernières années : le travail artistique et son organisation professionnelle, comme en témoigne par exemple un numéro du Mouvement Social consacré aux professions intellectuelles1, ainsi que les engagements politiques et sociaux des artistes. Pourtant, le croisement de ces deux entrées reste peu investi : de quelles lumières les activités artistiques s’éclairent-elles lorsqu’on les interroge à partir de la question des mobilisations collectives de leurs protagonistes, professionnelles, marchandes ou syndicales ? Inversement, qu’apprend-on sur les ressorts de la mobilisation collective lorsqu’on observe des univers de pratiques fondées sur l’individualisation extrême du travail et des carrières sous la figure de la singularité artiste ?

Le présent dossier, qui prend le parti d’un traitement trans-sectoriel (musique, cinéma, littérature et beaux-arts), entend explorer ces questionnements en adoptant une démarche jusqu’alors peu usitée : il s’agit d’appréhender les activités artistiques en les situant dans leur « écologie » institutionnelle, économique et sociale, en nous inspirant du travail théorique mené par Andrew Abott à propos du processus historique de constitution des « territoires professionnels »2. Autrement dit, plutôt que d’observer soit les artistes et leur environnement, soit les publics ou les commanditaires et leurs pratiques, nous avons choisi de nous intéresser aux activités intermédiaires qui s’emploient, à travers des activités diverses, à les mettre en relation : agents d’artistes, galeristes, programmateurs, financeurs, promoteurs, etc. En réintégrant dans les mondes de l’art [End Page 3] l’ensemble des « personnels de renfort »3 qui en sont parties prenantes, les productions artistiques et culturelles étudiées sont ainsi replacées dans des systèmes d’intermédiation qui déterminent leurs contours et leurs modalités. Ces systèmes définissent en effet la répartition des territoires d’activités entre divers métiers ou groupes et les tensions entre ces derniers, liées à la défense ou à la conquête de ces territoires. Par exemple, dans chacun des secteurs de la production culturelle, le territoire constitué par le contrôle du marché du travail artistique est l’objet de luttes entre ses multiples protagonistes (artistes de différents statuts, employeurs de types multiples, etc.) pour la répartition des risques et des bénéfices qui lui sont associés ; les tentatives de délimitation des frontières avec les territoires avoisinants, tels que celui du financement et du montage des projets artistiques, celui de la distribution des œuvres ou encore celui de la prescription des goûts, génèrent également de multiples tensions.

Le choix d’étudier les professions artistiques à partir de l’intermédiation, développé dans le cadre du programme de recherches IMPACT4, permet, pensons-nous, de renouveler l’étude des mobilisations collectives dans les mondes de l’art, objet de ce dossier. Les articles de ce numéro prennent en compte simultanément des organisations d’employeurs ou de financeurs et des organisations de travailleurs artistiques. En cela, ils incitent à saisir combien les pratiques et les relations des individus et des groupes qui constituent les mondes de l’art, sont caractérisées par leur place dans des systèmes d’intermédiation évolutifs et par les conflits de territoire qu’ils organisent et régulent. La division sociale du travail n’est jamais donnée d’avance ; elle est l’enjeu permanent de rapports de force dans sa dimension non seulement verticale, entre dominants et dominés d’une même profession ou d’un même secteur, mais aussi horizontale à travers précisément les tensions – ou les alliances de circonstance – entre groupes et professions. Il en va ainsi, par exemple, de la concurrence séculaire entre intermédiaires individuels (agents, bureaux...

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