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Reviewed by:
  • L’invention des sans-papiers. Essai sur la démocratie à l’épreuve du faible by Thierry Blin
  • Nicolas Jounin
Thierry Blin. - L’invention des sans-papiers. Essai sur la démocratie à l’épreuve du faible. Paris, Presses universitaires de France, 2010, 239 pages. « La politique éclatée ».

Cinq ans après son livre sur Les sans-papiers de Saint-Bernard, Thierry Blin revient sur cette occupation médiatisée d’une église durant l’été 1996, en tentant d’en élargir la signification. Tandis qu’il avait positionné son précédent ouvrage dans le champ de la sociologie des mouvements sociaux, il consacre cette fois son étude [End Page 177] à « l’affrontement de méta-récits [...] sans lesquels ces luttes seraient sans raison » (p. 14). Son matériau, qui n’est détaillé que dans l’écrit de 2005, comprend une quarantaine d’entretiens avec des acteurs de l’époque, et un dépouillement d’articles de journaux. Si les fondements empiriques du propos ne sont pas précisés dans ce second opus, c’est que la matière étudiée s’éloigne des péripéties concrètes d’une action collective. Il s’agit plutôt, à travers elle, de saisir « les traits génériques d’une société et de son “esprit” » (p. 136).

La première partie, « Histoires de luttes », relate rapidement la succession d’alternances politiques, de modes étatiques de traitement de l’immigration et de luttes des (et autour des) immigrés depuis une quarantaine d’années. Quelques rappels utiles y côtoient l’anecdote et l’ironie. On regrettera que l’auteur ne retrace pas réellement la genèse des « sans-papiers » comme catégorie de population au croisement des transformations des dispositifs étatiques et des mobilisations. Le passage concernant Saint-Bernard, reprenant essentiellement des informations du précédent ouvrage, se révèle synthétique et incisif. Il pointe quelques dilemmes inévitables de la lutte, comme celui entre le mot d’ordre de « régularisation de tous les sans-papiers » (et son corrélat stratégique d’élargissement du mouvement) et une pratique de clôture commandée par le maintien de l’ordre dans les espaces occupés, la négociation avec les pouvoirs publics et la répression en interne des « passagers clandestins ».

La deuxième partie, « Aperçus sur la guerre des faibles », démarre sur une critique conjointe, et enlevée, de la « théorie de la mobilisation des ressources » et de ce qui serait sa reformulation bourdieusienne. Il s’agit de mettre à distance un dessèchement analytique des luttes, dépouillées par ces théories de leur fondement proclamé pour être réduites à un fondement « réel » agencé par les seuls intérêts, fussent-ils « symboliques ». La perspective bourdieusienne ne serait qu’une réédition de « la traditionnelle coupure entre le signifiant (apprendre sa grammaire, écrire une œuvre littéraire, développer une doctrine politique, pratiquer un sport...) et le signifié, ce lieu véritable du sens qui est celui du jeu des structures dont le fonctionnement n’est accessible qu’au divin sociologue » (p. 132). Pourtant, bien qu’il semble vouloir prendre au sérieux les affects et la réflexivité des acteurs, Thierry Blin reporte son attention sur un improbable « esprit » de la « société », ce qu’il nomme aussi les « passions dominantes ». Sans doute les occupations d’église, les grèves de la faim, la sollicitation de personnalités médiatiques, recourent-elles à l’« arme symbolique » (p. 141), ce qui revient à parier qu’il y a bien un fond commun de symboles, sinon de valeurs. Pour autant, s’intéresser à la réflexivité des acteurs n’oblige-t-il pas à admettre l’existence de diverses rationalités, concurrentes sinon incompatibles, plutôt que de prétendre saisir un air du temps univoque ?

La troisième partie, « Morale de l’histoire », tente une montée en généralité encore plus audacieuse, et pose à ce titre quelques questions. Sous couvert de description distanciée, on sent poindre la critique à l’encontre d’une idéologie, que le lecteur est prié de croire dominante, qui...

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