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  • David Montgomery :une source d'inspiration pour les historiens et les citoyens
  • Patrick Fridenson*

David Montgomery, qui vient de disparaître à 84 ans le 2 décembre 2011, était à la fois, pour l'histoire sociale, un des plus grands historiens au monde et un homme constamment engagé, aux plans national et international, qui est resté jusqu'au bout un militant. C'était aussi un des principaux alliés étrangers de notre revue, l'ami de plusieurs membres du comité de rédaction, un ami personnel et ce lien sans faille a été une des chances de ma vie.

Sa trajectoire n'a rien à voir avec les carrières académiques classiques. Présentateur à la radio du centre nucléaire de Los Alamos pendant qu'il y accomplissait son service militaire après la fin de la dernière guerre mondiale, il avait ensuite fait des études de science politique. Puis pendant dix ans il était devenu mécanicien, un mécanicien autodidacte, dans des entreprises électriques, et militant de la fraction la plus radicale du syndicat des électriciens, les United Electrical Workers. Il y fut délégué d'atelier et exerça de nombreuses responsabilités locales. Son grand rire et son éloquence de tribun y faisaient déjà merveille. Le développement de la solidarité entre les ouvriers noirs et leurs collègues blancs fut un de ses thèmes principaux. Cet engagement syndical s'accompagna un temps d'une action très intense au parti communiste, dont l'égalitarisme et l'action antiraciste l'avaient attiré. Lors d'un voyage à Prague pour participer à un congrès mondial de la jeunesse, il rencontra une communiste afro-américaine de Chicago, Martel, qui devint sa femme. David quitta le parti en 1957. L'Amérique était alors en plein maccarthysme. Ses multiples activités militantes lui valurent d'être mis sur liste noire par le FBI et il perdit ainsi plusieurs fois son emploi, aussi bien à New York qu'à Saint Paul, dans le Minnesota. Il se trouva forcé de quitter le monde du travail, et reprit des études, cette fois en histoire. Il fit une thèse d'histoire sociale et devint un universitaire, très vite célèbre. Avec Herbert Gutman et David Brody, il fut un des créateurs de la nouvelle histoire ouvrière et, pour tout dire, de la nouvelle histoire sociale aux États-Unis.

Il est entré dans l'horizon des historiens français au milieu des années 1970 grâce aux tables rondes internationales d'histoire sociale de la Maison des Sciences de l'homme 1, imaginées par un des animateurs du Mouvement Social, Georges Haupt 2, et réalisées grâce à l'audace et à l'ingéniosité de l'administrateur adjoint de la MSH, Clemens Heller. Ce dernier y avait introduit un autre Américain, né comme David [End Page 145] en 1927, un spécialiste du monde russe et soviétique : Leo Haimson 3. David y avait été amené par Edward Thompson, avec lequel, passé en Angleterre, il avait œuvré deux ans à créer le Centre for the Study of Social History de l'Université de Warwick. J'entends encore Thompson me le présenter en marchant sur le boulevard Raspail : « Voici quelqu'un pour toi ». Ainsi naquit une amitié qui aura duré trente-six ans. Dans ces tables rondes David Montgomery captait l'attention en restituant toute la diversité professionnelle, régionale, ethnique, religieuse des États-Unis et en partant du local pour construire des vues d'ensemble. Il passionna les différents historiens et sociologues présents par son appétit de connaître les différences entre les courants nationaux qui portaient l'histoire sociale au renouveau, son intérêt pour l'anthropologie et la sociologie, son souci de ne pas séparer l'histoire sociale de celle de la culture, de la politique et du capitalisme, et par le véritable internationalisme de ses horizons. D'une de ces tables rondes, consacrées au taylorisme, naquit son article « Quels standards ? » publié par notre revue en janvier-mars 1978, qui eut un énorme retentissement. Il devait dans la foulée des tables rondes...

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