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Reviewed by:
  • Face à la persécution. 991 Juifs dans la guerre
  • Laurent Douzou
Nicolas Mariot, Claire Zalc. – Face à la persécution. 991 Juifs dans la guerre, Paris, Odile Jacob, Fondation pour la mémoire de la Shoah, 2010, 302 p.

Écrire l'histoire d'une cohorte confrontée aux persécutions antisémites à Lens dans le Pas-de-Calais, en zone dite « interdite », entre 1940 et 1944, tel est le projet de ce livre à quatre mains rédigé par Nicolas Mariot, spécialiste des violences de guerre, et Claire Zalc, historienne de l'immigration dans la France du XXe siècle. En conjuguant leurs compétences et centres d'intérêt, les deux chercheurs se sont assigné un objectif en apparence modeste : suivre pas à pas les 991 Juifs de Lens que, par un patient et méthodique travail de recoupement, ils ont identifiés comme tels. En dépit des apparences, c'était un vrai pari que de tenter cette histoire vue et écrite au ras du sol dans la mesure où cela nécessitait de dessiner les contours d'une cohorte extrêmement diverse tout en prêtant la plus grande attention aux parcours individuels. C'est que les 991 Juifs de Lens ne formaient pas une communauté au sens précis du terme mais une nébuleuse parcourue de tensions et de fractures à laquelle seules une rude adversité et l'identité générique qu'on lui accola à dater de 1940 conférèrent, à défaut d'homogénéité, une manière d'unité, involontaire mais tristement réelle. Quant aux itinéraires individuels, il est toujours difficile de les retracer, à plus forte raison quand ils sont dominés par une menace de mort qui invite à en dissimuler des pans entiers, ceux-là mêmes que la recherche voudrait mettre en lumière. [End Page 169]

Si on connaît bien aujourd'hui, jusque dans son détail, la législation qui réduisit comme peau de chagrin l'espace de vie, puis de survie des Juifs sous l'Occupation, sa mise en œuvre au jour le jour, ses répercussions sur la vie de tout un chacun, les marges de manœuvre disponibles pour ceux qui en étaient les cibles sont beaucoup plus difficiles à cerner. C'est la grande force de cette recherche que de donner à voir, dans ses dimensions collective et individuelle, cette sorte d'angle mort et, plus encore, de restituer la considérable part d'inconnu qui s'inscrivit, d'un bout à l'autre, en toile de fond de cette histoire tragique.

Récemment arrivés à Lens pour la plupart, les Juifs qui y résidaient suivirent, à dater de 1940, un chemin de malheurs que les deux auteurs choisissent d'emprunter après eux en ayant soin d'éviter toute considération formulée a posteriori. Il s'agit bien de découvrir tous les obstacles dressés sur leur route et d'en évaluer les retombées chemin faisant.

La toute première épreuve fut celle de la déclaration. Dans un pays qui avait, jusque-là, par tradition républicaine, sciemment ignoré les appartenances ethniques et confessionnelles, on alla au plus simple – et au plus cynique – en demandant aux individus de se déclarer. D'où le rôle essentiel des auto-déclarations du recensement de décembre 1940 qui ne tarda pas à être utilisé à des fins policières, discriminatoires et répressives.

D'aucuns s'étonnent que, sommés de se déclarer dans un contexte menaçant, les intéressés n'aient pas pris la clef des champs. Que ne sont-ils partis immédiatement ? C'est l'interrogation qu'on entend et lit très souvent de nos jours encore. L'étude montre, sur fond d'incertitude quant au sort qui leur serait réservé, toutes les difficultés auxquelles se heurtaient ceux qui envisageaient de partir. Si, très tôt, beaucoup firent le choix d'un exode sans retour, la décision de partir n'allait pas du tout de soi. Partir où ? Partir quand ? Partir sans disposer d'un refuge sûr ? Significativement, cette recherche met en évidence le fait que...

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