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Reviewed by:
  • Vers la guerre totale. Le tournant de 1914–1915
  • Alexandre Sumpf
John HORNE (sous la direction de). - Vers la guerre totale. Le tournant de 1914–1915, Paris, Tallandier, 2010, 343 p.

Conflit d’un type inédit, la Grande Guerre l’est sans conteste, mais c’est moins l’utilisation des armes mécaniques ou chimiques qui la distingue que son caractère massif et systématique, permis par la mobilisation rapide des industries nationales. Les gaz ont eu aussi une « portée symbolique » (rappelle Anne Rasmussen), frappant l’opinion et révélant l’engagement des scientifiques dans une guerre des intellectuels sans pitié. L’intensité et l’extension de la mobilisation des populations au front et à l’arrière, et les phénomènes de violence extrême caractérisent la guerre nouvelle, dès les premières semaines. C’est le présupposé de Vers la guerre totale, ouvrage collectif où sont réunies certaines communications d’un colloque organisé à l’Historial de Péronne sur le « tournant » de 1914–1915. À la suite de l’introduction bien menée par John Horne, le propos se développe en trois temps, des violences du champ de bataille (I) au génocide arménien (III) en passant par les violences contre civils et prisonniers de guerre (II).

La première partie étudie l’appréhension par les armées allemandes et françaises du combat – marqué, note Stéphane Audoin-Rouzeau, par un précoce « acquis de brutalité » et la « facilité » à perpétrer les violences interpersonnelles (p. 51). La question du passage à la violence et de son acceptation traverse les trois articles suivants. Anne Duménil décèle dans l’expérience des combattants allemands une autonomie forcée de décision qui fait éclater le front en autant de zones de guérilla. L’État-major allemand a du mal à faire coïncider avec ce phénomène ses théories stratégiques : l’offensive ne se conçoit qu’en groupe compact, l’abri défensif n’est qu’un temporaire point d’appui pour l’attaque. Les combats d’artillerie écrasant l’espace et le temps du combat, peu décisifs, révèlent pourtant l’impasse de la guerre de position. La transmission aux recrues à l’immédiat arrière-front des modes de combat par les soldats ayant expérimenté les batailles de 1914, favorise le retour au combat en mouvement de la fin 1917.

John Horne insiste, quant à lui, sur la rupture entre guerre imaginée avant 1914 et guerre vécue, qui creuse un fossé révélé par les mutineries de 1917. Le « consentement » se scellerait dans les rangs français autour de trois « imaginaires » structurant une « conscience de soi par rapport au combat » (p. 91) : l’évaluation des pertes – foyer important de fausses nouvelles –, l’acceptation de l’offensive future et de son échec répété, le sacrifice – « pivot de la culture de guerre » (p. 94). Il convient d’y ajouter le terrible impact sensible (visuel, olfactif, auditif) des innombrables blessés qui provoque l’autocensure et voile l’expérience du combat du masque de l’irréalité. [End Page 113] Ou encore la propagation rapide d’un défaitisme personnel, incommunicable par des individus menacés des foudres de la justice militaire et soumis à la pression du collectif. Plus profondément, la résignation s’inscrit dans la vision durable de l’épuisement du corps de la nation, incapable de se régénérer démographiquement. Les carnets de guerre révèlent à quel point l’enlisement de 1915 efface toute croyance rationnelle en la victoire : elle cède le pas à une foi sans limite en une intervention miraculeuse – russe, britannique, des forces coloniales, et in fine des États-Unis. Horne relève l’ambiguïté des combattants acceptant le sacrifice, mais pas d’être sacrifiés : c’est-à-dire ni vivre à l’arrière, ni mourir au front, mais survivre entre les deux.

La seconde partie de l’ouvrage a le mérite d’aborder la comparaison entre Ouest et Est, dont notre connaissance insuffisante des fronts russes et roumain ne peut...

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