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Reviewed by:
  • Les Paradis perdus. Drogues et usagers de drogues dans la France de l’entre-deux-guerres
  • Xavier Paules
Emmanuelle RETAILLAUD-BAJAC. - Les Paradis perdus. Drogues et usagers de drogues dans la France de l’entre-deux-guerres, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009, 467 p. « Histoire ».

Issu de sa thèse de doctorat, le livre d’Emmanuelle Retaillaud-Bajac prolonge chronologiquement le travail de Jean-Jacques Yvorel 5. Ce dernier traitait des drogues en France au XIXe siècle et se refermait sur la loi de juillet 1916 qui initie leur pénalisation. Cette fameuse loi définit la catégorie des « stupéfiants » : l’opium et ses dérivés (morphine, héroïne), ainsi que la cocaïne et le haschich. Elle est avant tout dirigée contre les trafiquants et tenanciers de fumeries, qui encourent jusqu’à deux ans de prison. Vis-à-vis des consommateurs, elle se fait plus ambiguë. Elle se préoccupe de distinguer usage légitime (thérapeutique, dûment encadré par le corps médical) et l’usage à des fins de plaisir. Si, en théorie, la consommation de ces substances n’est pas un délit, la loi punit ceux qui « en auront usé en société » ou encore « auront été trouvés porteurs sans motif légitime » ce qui laisse dans les faits la porte grande ouverte à sa répression. Implicitement, la loi entérine le statut spécifique de l’alcool, de loin le principal psychotrope utilisé, mais qui n’entre pas dans son champ d’application. Pas plus au moment du vote de la loi que dans les deux décennies suivantes, la notion de « toxophilie » qui, avec l’alcool, engloberait tous les autres psychotropes, ne fera recette. La loi de 1916 a des implications considérables : inscrivant la drogue dans l’illicite, elle provoque la stigmatisation de la consommation ainsi qu’un renchérissement considérable. L’illégalité contribue à en détourner les élites sociales.

Malgré la difficulté de travailler sur un sujet qui relève donc, selon une expression ramassée qui fait mouche, de « l’intime, [du] clandestin et [du] minoritaire », E. Retaillaud-Bajac parvient à ses fins en variant au maximum les sources utilisées : littérature, revues médicales, archives policières et judiciaires, en particulier. En matière de presse, elle a le mérite d’identifier avec beaucoup d’astuce un journal qui fait dans l’entre-deux-guerres le pari éditorial (gagnant) d’accorder une importance toute spéciale aux nouvelles et faits divers en rapport avec la drogue : Paris-Soir.

Le travail patient de l’auteur permet de montrer qu’en dépit d’une ampleur assez modeste, le phénomène des drogues s’inscrit durablement dans le paysage social de la France. Les estimations qu’elle avance sont convaincantes et situent le nombre de consommateurs entre 1 000 et 15 000 individus, tous types d’usages et de produits confondus. Cet ordre de grandeur ne doit pas nous dérober la variété du phénomène, depuis le médecin qui s’injecte en toute légalité de la morphine qu’il s’est prescrite, jusqu’au petit délinquant adepte de la « coco » en passant par la demi-mondaine fumeuse d’opium, la consommation de drogues présente assurément de très nombreux visages. De plus, même si la période retenue est assez courte, elle n’est pas soluble en bloc dans un « après-1916 », car elle est travaillée par des évolutions significatives, en particulier le recul de l’opium au profit de la cocaïne, puis de l’héroïne. Même si, à travers une série de portraits allant de Jean Cocteau à Joë Bousquet, E. Retaillaud-Bajac accorde une place considérable aux rapports entre drogue et milieux artistico-littéraires, elle montre par ailleurs que le lien à la création artistique se distend. La drogue glisse plutôt vers l’interlope, le monde de la nuit et [End Page 102] des plaisirs. La géographie de la drogue, elle, s’avère assez stable et très parisienne. Montmartre se pose en épicentre de la...

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