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  • Léopold Haimson (1927–2010)
  • Éric Brian*

Léopold Haimson est mort le 18 décembre dernier à son domicile new-yorkais. Historien de la Russie prérévolutionnaire et révolutionnaire sans doute le plus important des dernières décennies; longtemps professeur au Département d’Histoire et à l’Institut Harriman de l’Université Columbia où il a formé plusieurs générations qui s’expriment aujourd’hui; influent parmi les spécialistes russes dès les années 1960 et plus fortement encore depuis les années 1990, il était de ce genre d’homme cultivé, espiègle et profondément intelligent – formidablement humain – qu’on croise rarement.

En 1927, il avait eu « la bonne idée de naître à Bruxelles », pour reprendre un compliment que lui adressait naguère Fernand Braudel qui s’étonnait de l’excellence de son expression française à la fin d’une séance de séminaire au Collège de France. Ses parents, issus de familles de commerçants et d’entrepreneurs, avaient quitté la Russie après la Révolution d’Octobre. Ils s’étaient d’abord établis à Berlin où sa sœur était née, puis à Bruxelles. Haimson devait ainsi son prénom à la gratitude de son père envers ce qu’il imaginait devoir être une nouvelle patrie. La Seconde Guerre mondiale en décida autrement. En 1940, la famille a rejoint la France dans des circonstances dramatiques, se trouvant prise parmi les troupes encerclées à Dunkerque et évacuée par bateau en Normandie. Deux ans plus tard, passée en zone libre devant l’avancée nazie, elle quittait l’Europe pour les États-Unis. La débâcle et l’exil ont profondément marqué la conscience historique du jeune Léopold, suscitant chez lui une sourde réflexion sur l’autorité et les formes de son intériorisation. Le jeune homme rejoignit Harvard pour ses études en 1942, partageant sa chambre – peut être pour des raisons alphabétiques – avec un autre migrant, lui même viennois, engagé dans une thèse d’inspiration wébérienne sur la formation de la banque lombarde : Clemens Heller.

« Léopold » devint ainsi « Leopold H. » ou « Leo », bluffant les premiers temps sur son âge et sur sa trajectoire. Mais il restait définitivement nostalgique d’une Europe qui irait de la Seine à la Neva, passant par la Senne, la Spree et la Moskova – surtout de la France, ou plus précisément de Paris et de la langue qu’employaient ses parents pour parler comme il convenait aux enfants. Il répondait récemment encore au cours d’un entretien : « Indeed, I continue to this day to feel more at home in France than in the United States [En fait, encore aujourd’hui, je persiste à me sentir comme chez moi en France plus qu’aux É tats-Unis] » 1. Il en conservait un mélange d’intonations souvent inattendues dans les langues où il s’exprimait en toute aisance et une sympathie malicieuse pour deux héros de polars, un détective belge expatrié dont il mentionnait volontiers « les petites cellules grises » et un commissaire parisien, comme lui grand fumeur, observateur, lucide et compréhensif dans l’enquête. [End Page 125]

Pendant ses années de formation universitaire, et suivant les conseils de son oncle maternel, Georges Gurvitch, qui avait appelé l’attention du jeune homme sur la diversité des rythmes des temps historiques et sur les faits de nombres (deux clés que ce sociologue partageait avec Maurice Halbwachs), il travailla d’abord, en BA, la question de l’influence de Rousseau sur Robespierre et des causalités assignées par l’historiographie à la Révolution française et à la Terreur. La part décisive prise par l’Armée rouge dans la défaite nazie fut, en 1945–1946, l’élément déclencheur de son orientation, manière de retour, vers l’étude de la Russie et de l’URSS. Ses premiers travaux éveillèrent l’attention de l’Office of Strategic Services (OSS), sans lendemain toutefois pour le plus grand bien de la recherche historique. À Harvard, il étudia la sociologie avec Talcott Parsons, renonçant vite...

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