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Reviewed by:
  • Les Ouvrières de la République. Les Bonnetières de Troyes sous la Troisième République
  • Colette Avrane
Helen Harden Chenut. - Les Ouvrières de la République. Les Bonnetières de Troyes sous la Troisième République. Rennes, Presses universitaire de Rennes en coédition avec le Conseil général de l’Aube, 2010, 420 pages. « Histoire ».

Depuis des années, la traduction de la thèse d’Helen Harden Chenut était attendue (thèse soutenue à Paris VII en 1988). C’est maintenant chose faite avec la publication du livre entièrement repensé qui en est tiré. À partir d’archives classiques de l’histoire sociale (archives municipales, départementales, patronales, privées, interviews de témoins), l’auteure donne une vision saisissante de la vie et de la culture ouvrière dans la bonneterie troyenne des années 1880 aux années 1940. Grèves et revendications, rapports conflictuels entre les ouvriers et le patronat, entre les ouvriers des différentes spécialités, mouvement syndical, politique et culturel, coopératives, cette étude aurait pu rester dans le cadre traditionnel de l’histoire ouvrière, une histoire « universelle » et masculine dans laquelle les femmes ont la portion congrue. Mais elle a choisi, au contraire, d’adopter l’approche genrée de tous ces thèmes. Cela constituait une nouveauté dans la thèse et cela le reste dans le présent livre, à ce niveau d’analyse fine d’une ville industrielle sur une longue période. En effet, les études aussi précises de la place des femmes dans le processus industriel sont rares. Il ne suffit pas de dire que les femmes sont moins bien payées que les hommes, qu’elles n’ont ni pouvoir politique ni pouvoir syndical, encore faut-il le prouver. C’est ce que fait l’auteure à travers ce tableau de la classe ouvrière troyenne sous la IIIe République. Les bonnetières, ouvrières qualifiées ou non, sont systématiquement au second plan du processus industriel. Pourtant, à mesure que l’industrie de la bonneterie se développe, elles sont de plus en plus nombreuses.

Le livre s’ouvre sur la grande grève de 1900. Cette grève débute par le débrayage des rebrousseurs, jeunes ouvriers qui travaillent en tandem avec des ouvriers plus expérimentés et qui sont parmi les plus mal payés de la profession. Pas de mot d’ordre de grève, pas de plate-forme de revendications (elles sont définies après le début du conflit) : c’est une grève de l’exaspération devant la toute-puissance patronale à fixer des salaires trop bas et elle se répand comme une traînée de poudre. Cette extension rapide concerne non seulement les ouvriers qui travaillent avec les rebrousseurs et qui n’ont plus de travail du fait de la grève de ceux-ci, mais aussi les ouvrières, toutes les professions et la plupart des usines de Troyes. À cette grève longue de deux mois, les patrons répondent par un lock-out qui finit par la casser. Les ouvriers reprennent le travail sans avoir obtenu d’augmentations substantielles. Une seconde grève lui fait écho, en 1921, qui dure un mois et demi, et se termine par une augmentation de… 30 [End Page 115] centimes. C’est dire la difficulté pour les ouvriers troyens d’obtenir une amélioration de leurs conditions de vie face à un patronat conservateur, uni et décidé, qui refuse de négocier et ferme ses usines. C’est dire aussi le fossé qui sépare patrons et ouvriers dans cette ville spécialisée dans les productions de luxe.

Et les ouvrières, comment sont-elles situées dans la hiérarchie sociale et quelles sont leurs spécialisations ? À mesure que les machines se perfectionnent, les femmes perdent leur qualification et leur nombre augmente. Elles font pourtant sans cesse la preuve d’une grande qualification professionnelle mais celle-ci n’est pas reconnue. Séparés physiquement dans l’usine, les ateliers masculins et féminins le sont aussi par la différence des...

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