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  • L’identitée canadienne refaçonnée? 1
  • Jocelyn Létourneau (bio)

On a beaucoup glosé sur la décision du gouvernement Harper de restaurer certains symboles monarchiques pour les arrimer à l’emblématique du Canada. On a aussi dénoncé son initiative de transformer la guerre de 1812 en un événement déterminant de la formation du pays. Au Québec bien sûr, mais dans le reste du Canada également, plusieurs intervenants se sont élevés contre ce qui apparaît, d’un côté, comme un retour en arrière sur le plan de la production des symboles nationaux et, de l’autre, comme un détournement du passé à des fins de propagande politique au présent.

Pour expliquer les gestes du gouvernement, on a mis en avant diverses explications, certaines ayant à voir avec la personnalité du premier ministre (un monarchiste dévoué), d’autres avec la composition de son parti (une formation truffée de traditionalistes), d’autres encore avec le fait qu’Ottawa puisse désormais gouverner le pays sans se soucier du Québec (apparemment devenu une valeur négligeable dans la dynamique politique canadienne).

On pourrait proposer interprétation plus complexe au x actions gouvernementales.

Multiculturalisme essoufflé?

Dans l’opération de «royalisation» du paysage symbolique national et de réhistorisation de l’expérience historique canadienne, il y a peut-être la manifestation de l’essoufflement du paradigme qui fut au cœur du projet canadien des 40 dernières années, celui du multiculturalisme.

Certes, le multiculturalisme n’a pas été abandonné par le gouvernement canadien comme idéologie officielle du pays. La loi sur le multiculturalisme canadien est toujours en vigueur et valorisée. Dans les officines fédérales, y compris à Patrimoine canadien, on reconnaît toutefois de plus en plus les limites propres à la représentation du pays sur le mode d’une courtepointe aux morceaux liés les uns aux autres par un fil dont la résistance n’est pas infinie.

On a dit de la politique canadienne du multiculturalisme qu’elle visait à briser le nationalisme québécois. En réalité, Pierre Trudeau désirait en finir avec le paradigme incarnant la figure identitaire canadienne d’alors, celui des deux solitudes. Il rêvait également de canaliser l’élan québécois au profit de la construction d’un pays de son cru, celui d’un Canada désethnicisé, expurgé de ses historicités séparées et stériles selon lui.

À bien des égards, le projet trudeauiste a failli. Loin de disparaître, les deux solitudes sont devenues deux lassitudes. Il semble dorénavant illusoire [End Page 225] de vouloir concilier le Québec et le Canada anglais dans un même projet symbolique pannational.

Plus alarmant peut-être, du moins pour les penseurs d’une nation canadienne forte et à l’identité robuste, l’idéologie multiculturaliste, après quarante ans d’évolution, a en quelque sorte aseptisé le pays sur le plan de son historicité. Les enracinements historiques du Canada, ceux du Canada anglais notamment, ont été remplacés par des aménagements civiques étiolant en partie la consistance du pays. Si l’identité canadienne s’est élargie en façade, disent les penseurs inquiets de la canadianité, elle s’est amincie en profondeur. Il semble désormais chimérique de vouloir affermir le Canada dans un creuset qu’on ne peut agrandir qu’en le faisant s’aplatir – avec la conséquence qui vient avec : la fragilisation du pays.

Vers un nouveau paradigme identitaire?

Stephen Haper a possiblement tirer les conséquences de ces situations jugées périlleuses pour le Canada.

D’un côté, vu l’impossibilité de nier la dissonance québécoise au pays, il a accordé aux Québécois une certaine reconnaissance, celle de former une «nation au sein d’un Canada uni». Bien sûr, l’expédient n’a pas satisfait les indépendantistes. Il s’agit néanmoins d’un geste symbolique significatif (et les symboles, comme l’a déjà dit Jacques Parizeau, c’est important!).

Le «reste du Canada» devait être également rétabli dans son historicité. Autour de...

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