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  • Travail atypique au Québec :les femmes au cœur de la dynamique de centrifugation de l'emploi, 1976-2007
  • Yanick Noiseux (bio)

À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, prenant acte des vices marquants du capitalisme de laissez-faire propre au système libéral d'antan, la majorité des gouvernements des pays dits développés, dont ceux du Canada et du Québec, adoptent les thèses keynésiennes et font de la recherche du plein emploi l'un des objectifs principaux guidant la conduite de leur politique économique interventionniste. Avec pour objectif l'étatisation du social, divers régimes de protection sociale (assurance-emploi, assurance-maladie, régime de retraite, prestation de sécurité du revenu) sont mis en place et marquent ce qu'on appellera l'État-providence. Bref, un pacte social est mis en œuvre — liant l'État, l'entreprise et le travailleur —, et l'emploi ne dépend plus alors du simple jeu de l'offre et de la demande sur le marché du travail : ayant désormais gagné le statut de variable indépendante, que l'on cherche à contrôler politiquement, il passe du strict registre de l'économie à celui de l'économie politique.

C'est l'ensemble de cette construction qui sera remis en question au Québec, au tournant des années 80 — ce qui ne constitue pas une exception — avec le passage à un régime néolibéral reposant essentiellement sur quatre piliers : la libéralisation, la déréglementation, la privatisation et la réduction des politiques sociales. Appliquée au marché du travail, la déréglementation devient la flexibilisation, laquelle constitue le moyen par lequel on cherchera à se défaire de ses rigidités. L'idée centrale de cet ultralibéralisme est que le marché doit assurer seul et sans entrave la distribution des biens, des services et de l'investissement, faute de quoi la répartition optimale des revenus entre les facteurs de production, c'est-à-dire entre le travail et le capital, serait [End Page 95] empêchée1. Pour ce type de libéralisme, le travail est une marchandise comme les autres et doit être remis aux lois du marché.

Ce retour à la politique de laissez-faire se fera rapidement sentir dans l'évolution des marchés du travail. Alors que la période keynésienne était marquée par la progression constante de l'emploi dans le salariat classique, on assiste aujourd'hui à l'essor du travail atypique, dont les multiples formes (à temps partiel, temporaire, soi-disant autonome, par cumul d'emplois, invisible) constituent des illustrations de ce que Durand appelle la dynamique de la centrifugation de l'emploi vers les marchés périphériques du travail2. Ainsi, « la norme d'emploi d'après-guerre, soit l'emploi régulier à durée indéterminée, s'est effritée aux profits de formes d'emploi multiples »3. Pour les entreprises du secteur privé, mais aussi pour l'État employeur, ces nouvelles façons de contracter la main-d'œuvre sont autant de manières de poursuivre l'objectif de flexibilité4.

Ainsi, du fordisme à l'après-fordisme, il y a un saut qualitatif ou, pour reprendre le langage de l'école de la régulation5 un « changement de régime d'accumulation », de sorte que la flexibilisation du travail ne peut plus être considérée comme une donnée conjoncturelle6. Cette dernière constitue plutôt un trait accentué du nouveau modèle d'organisation et de régulation du travail marqué par la fragmentation et la segmentation des marchés du travail. Dans la nouvelle donne, comme le souligne Desrochers, « flexibilité et précarité sont deux facettes d'une même réalité »7. Bien souvent confinées [End Page 96] au travail atypique et précaire, les femmes — comme les jeunes par ailleurs — sont au premier rang des victimes de cette transformation.


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Figure 1.

Le modèle Atkinson de la firme flexible et de la fragmentation des marchés du travail

Source : Jean-Pierre Durand, La chaîne invisible. Travailler aujourd'hui : Flux tendu...

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