-
Deux notes sur l' «imparfaite science» du geometre athee
- Journal of the History of Philosophy
- Johns Hopkins University Press
- Volume 43, Number 3, July 2005
- pp. 277-300
- 10.1353/hph.2005.0143
- Article
- Additional Information
- Purchase/rental options available:
Journal of the History of Philosophy 43.3 (2005) 277-300
[Access article in PDF]
Deux notes sur l'« imparfaite science » du géomètre athée
Georges J. D. Moyal
Deux questions.
La Ve Méditation de Descartes vise à démontrer que l'existence d'un Dieu vérace est la condition nécessaire de toute science. En effet, Descartes y écrit ceci : « . . . je remarque que la certitude de toutes les autres choses en dépend si absolument [sc. de l'existence de Dieu], que sans cette connaissance il est impossible de pouvoir jamais rien savoir parfaitement1. » Ce qui le mène, bien entendu, d'abord à reconnaître que « . . . si j'ignorais qu'il y eût un Dieu [ . . . ] je n'aurais jamais une vraie et certaine science d'aucune chose que ce soit, mais seulement de vagues et inconstantes opinions2 » et par là même, à refuser ensuite cette parfaite science au géomètre athée : « Or, qu'un athée puisse connaître clairement que les trois angles d'un triangle sont égaux à deux droits, je ne le nie pas ; mais je maintiens seulement qu'il ne le connaît pas par une vraie et certaine science, parce que toute connaissance qui peut être rendue douteuse ne doit pas être appelée science3 . . . »
Il faut reconnaître qu'il y a à nos yeux, aujourd'hui, quelque chose de surprenant à ce que le géomètre athée se voie ainsi refuser cette parfaite science alors qu'il remplit toutes les conditions lui permettant de la revendiquer : (i) il adhère aux mêmes propositions, aux mêmes théorèmes de géométrie, que ne le font ses confrères croyants, (ii) ces propositions sont vraies et (iii) il dispose aussi [End Page 277] des mêmes raisons de leur accorder son assentiment : mises à part les variations possibles entre les démonstrations de certains théorèmes — variations qui, du reste, ne tiennent qu'à des degrés divers d'élégance et nullement à des différences d'opinion ou de doctrine —, l'adhésion qu'il leur accorde est fondée sur les mêmes évidences et se justifie au même degré qu'elle ne le fait chez ses confrères croyants : si elle est adéquate dans leur cas, il est en droit de s'attendre qu'elle le soit aussi dans le sien. En termes cartésiens, il en a une perception claire et distincte : Descartes « . . . ne le nie pas ».
D'ailleurs Gassendi relève la difficulté lui aussi :
Et même, encore qu'il soit très vrai, comme en effet il n'y a rien de plus véritable, qu'il y a un Dieu, lequel est l'auteur de toutes choses, et qui n'est point trompeur ; toutefois, parce que cela ne semble pas être si évident que le sont les démonstrations de géométrie (de quoi il ne faut pas d'autre preuve sinon qu'il y en a plusieurs qui mettent en question l'existence de Dieu, la création du monde et quantité d'autres choses qui se disent de Dieu, et que pas un ne révoque en doute les démonstrations de géométrie), qui sera celui qui se pourra laisser persuader que celles-ci empruntent leur évidence et leur certitude des autres ? Et qui pourra croire que Diagore, Théodore, et tous les autres semblables athées, ne puissent être rendus certains de la vérité de ces sortes de démonstrations ? Et enfin, où trouverez-vous personne, parmi les croyants, qui, étant interrogé sur la certitude qu'il a qu'en tout triangle rectangle le carré de la base est égal aux carrés des deux côtés, réponde qu'il en...