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  • Fous, ivres ou méchants? Les parents meurtriers au Québec, 1775-1965 by Marie-Aimée Cliche
  • Pascale Quincy-Lefebvre
Cliche, Marie-Aimée — Fous, ivres ou méchants? Les parents meurtriers au Québec, 1775-1965, Montréal, Boréal, 2011, 274 p.

« Fous, ivres ou méchants? » Des parents peuvent-t-ils, en conscience, tuer leurs propres enfants? Les perceptions des pères et mères meurtriers soupçonnés de meurtre ont changé dans le temps et dans l’espace. Lorsqu’Aimée-Marie Cliche écrit son livre, la province du Québec est dans l’attente des conclusions du procès du Dr Turcotte. Le père est accusé du meurtre de ses deux enfants. Le verdict tombe; les juges concluent à la « non responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux ». Marie-Aimée Cliche s’interroge : serions-nous devant l’aboutissement logique d’une longue évolution judiciaire?

Avec ce nouvel ouvrage, l’historienne apporte une pierre supplémentaire à une enquête engagée depuis deux décennies sur les déviances familiales. Après plusieurs articles et un livre publié en 2007, Maltraiter ou punir? La violence envers les enfants dans les familles québécoises 1850-1969, l’auteure s’intéresse aux filicides. Sans tenir compte de l’infanticide des nouveau-nés, elle repère 140 affaires de parents meurtriers sur deux cents ans d’histoire québécoise. La comparaison étant une pièce maîtresse de l’explication en histoire, l’auteure rassemble des données sur d’autres provinces et d’autres pays. Le second corpus comporte 688 cas. Certaines histoires sont restées dans les mémoires.

Dans le temps, que recouvrent les accusations de filicides? Des facteurs perdurent, d’autres disparaissent. Enfin, la société est créatrice. Attentive aux propos des médecins ou autres spécialistes du comportement, des hommes de lois, des journalistes, l’historienne étudie les procès et la presse. La jurisprudence change. Durant la période, la mortalité infantile décroît fortement, l’enfant devenu plus précieux, les cultures de masse font de l’émotion des populations le ressort d’une opinion qui pèse sur les représentations, les politiques et la justice. Le nombre d’affaires jugées augmente.

La problématique porte sur les reconstructions du crime de filicide à la lumière des nouveaux savoirs. Partant des causes et de leurs transformations, l’historienne analyse la fabrique des verdicts. Quel rôle ont les experts? Quelles représentations dans les jugements? Le travail est organisé autour de deux hypothèses principales : [End Page 543] la perception des filicides diffère selon les sexes; l’inertie des représentations sexuées explique les ornières du travail judiciaire. Cause en soi et cause-écran, l’enfance-martyre ouvre sur bien d’autres histoires : ici, celles des rôles masculins et féminins dans une société happée par la modernité.

Le premier chapitre exploite des données quantitatives. Qui, où, quand, pourquoi? Des typologies sont dressées et un tableau rassemble des informations sur la longue durée. Il s’agit des crimes connus. Le nombre des affaires croit considérablement après 1945. Les accusés sont plus souvent des femmes, sauf dans les affaires de « familicides ». Elles sont moins pénalement sanctionnées. Les autres chapitres sont chronologiques.

Marie-Aimée Cliche distingue quatre périodes. De 1775 jusqu’à 1875, la société est décrite comme peu bavarde sur ce crime. La répression de l’acte est ordinaire. Comme les sources sont rares, les conclusions sont prudentes. La question est posée : ignorance ou indifférence? L’alternative est simple : folie ou cruauté lucide. Les juges évaluent le caractère intentionnel ou non intentionnel des actes incriminés. La misère est omniprésente. Les magistrats ignorent ou négligent les publications récentes des aliénistes. Ils ne cherchent pas à situer le crime dans les nouvelles nomenclatures qui élargissent les cadres de la folie.

La situation change très progressivement à partir de 1875. Les juges doivent davantage travailler avec l’émotion des populations. La presse populaire s’émeut...

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