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  • Le Laboratoire moraliste: La Rochefoucauld et l’invention moderne de l’auteur by Alain Brunn
  • Mathilde Bombart
Le Laboratoire moraliste: La Rochefoucauld et l’invention moderne de l’auteur. Par Alain Brunn. (Les Littéraires). Paris: Presses universitaires de France, 2009. 296 pp.

Ce livre propose un regard renouvelé sur La Rochefoucauld, centré sur l’auctorialité des Maximes et, dans une moindre mesure, des Mémoires. Le point de départ est double: Brunn rappelle d’abord qu’au dix-septième siècle, l’activité d’écriture s’inscrit dans une tension avec le statut nobiliaire. Ensuite, il souligne combien notre vision de la littérature (héritée de la sacralisation romantique de l’écrivain) est inadéquate à penser le rapport à l’écriture de La Rochefoucauld comme le statut de ses écrits. Dans un salutaire retour critique, Brunn pointe l’historicité de cette vision, et donc sa relativité, souvent oubliée car ‘la force de la littérature, c’est […] de s’être donnée pour la vérité de toute pratique des lettres, d’avoir fait de sa définition la vérité de toute écriture littéraire’ (p. 25). A contrario, La Rochefoucauld incarne l’écrivain ‘amateur’ selon une catégorie centrale de Naissance de l’écrivain d’Alain Viala. La composition des Maximes est, ainsi, rapportée à celle d’une collection curieuse, instable matériellement et relevant d’un ‘savoir sans universel’ (p. 45), sans esprit de système ni cohérence. Resituant les Maximes au sein des formes anthologiques de l’époque (adage, proverbs…), Brunn souligne que les énoncés ‘collectionnés’ s’y font formules incertaines, marquées par l’équivoque. L’auctorialité de La Rochefoucauld se définit donc par la capacité à choisir les objets de la collection, à manifester jugement et goût. Elle s’attache aussi au travail de l’elocutio, que Brunn oppose au paradigme de la conversation. L’écriture est utilisée comme telle dans l’oeuvre de La Rochefoucauld — conscience graphique ancrée dans une méfiance vis-à-vis de la parole acquise lors de la Fronde (les textes produits alors par le Duc sont d’ailleurs repris en annexe). Le trouble du sens qui saisit le lecteur repose sur cela: les maximes se font formules paradoxales dont, à l’opposé du jeu mondain auquel on les ramène parfois, la compréhension demande la lecture et la relecture. Pour finir, Brunn en arrive à la question de l’intérêt, dont il montre qu’il serait trompeur d’en faire un principe explicatif, de la politique ou de la psyché humaine. L’intérêt n’est que la forme prise par les bizarreries des désirs et comportements humains, qui ramènent l’histoire à une suite de hasards, jusqu’à l’absurde (voir la maxime: ‘La fin du bien est un mal; la fin du mal est un bien’). Brunn montre que la visée instructive attachée ordinairement à l’idée de ‘moraliste’ est mise à mal dans les Maximes, laissant le lecteur seul, arraché par la mi-santhropie profonde du texte à toute appartenance communautaire et sans promesse de connaissance de soi ni du monde. On l’aura compris, le croisement des perspectives socio-historiques, esthétiques et théoriques dans cet ouvrage offre des oeuvres de La Rochefoucauld une vision vivifiante, à l’écart de catégories aujourd’hui trop facilement [End Page 551] usitées, telles que celles de conversation, de mondanité et même de ‘moraliste’, qui finissent par faire écran à la singularité des objets dont elles parlent.

Mathilde Bombart
Université Jean Moulin–Lyon 3
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