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  • Ombres de l’utopie: essais sur les voyages imaginaires du XVIeau XVIIIesiècle
  • Edward Ousselin
Ombres de l’utopie: essais sur les voyages imaginaires du XVIeau XVIIIesiècle. Par Alberto Beretta Anguissola. (Atelier des voyages, 7). Paris: Honoré Champion, 2011. 250 pp.

Dans un livre consacré au filon apparemment inexhaustible qu’est l’utopie, le premier chapitre, ‘Les Cités de l’ombre’, surprend en établissant une ‘intime fraternité entre imagination utopique et instinct de mort’ (p. 18), en associant d’emblée, selon une [End Page 93] optique freudienne, la quête utopique à une sorte de processus de régression de la création littéraire, en butte au principe de réalité. C’est en effet un regard irrémédiablement désabusé que pose l’auteur sur la floraison du genre utopique, qui s’est particulièrement développé durant l’ère des Lumières, et qui s’est plus tard mué en dystopie avant de s’estomper. L’épuisement (à de rares exceptions près) du genre uto-pique à notre époque est ‘le signe que nous nous sommes rendus sans condition à la banale et fragmentaire insignifiance du réel’ (p. 93). Telles que l’auteur les décrit, les caractéristiques du genre sont surtout négatives, voires mortifères: ‘Statique par définition, immuable, éternellement identique à elle-même, non susceptible de progrès et ouverte uniquement au risque de menaçantes dégénérescences, l’utopie n’a pas de devenir, n’a pas de durée’ (p. 85). À travers les huit chapitres de cet ouvrage, l’auteur explore de façon fort personnelle ou idiosyncratique un corpus littéraire de taille impressionnante, examinant par exemple les racines bibliques du genre utopique, les façons dont les figures parentales y sont représentées, les langues parlées dans divers pays utopiques, et la prédominance de la couleur rouge dans de nombreux textes. Le dernier chapitre, ‘Mercier, Leopardi et les contradictions des Lumières’, est aussi le plus long et apparemment le plus personnel (en dehors de l’introduction), si l’on en juge par le nombre de fois où l’auteur se livre à des réminiscences à la première personne: ‘Il y a quelques années, quand j’ai lu pour la première fois les Songes philosophiques de Louis-Sébastien Mercier...’ (p. 174). C’est cette présence constante de l’auteur, sa façon de narrer ses découvertes et les cheminements de sa pensée, qui constitue à la fois la force et la faiblesse d’Ombres de l’utopie. L’érudition et la capacité analytique de l’auteur s’y déploient, mais on y perçoit également ses tâtonnements, les étapes de sa pensée. Cette constante présence narratrice, assez inhabituelle dans une œuvre de critique littéraire, est sans doute due à l’influence d’un autre écrivain. Alberto Beretta Anguissola est, comme il le rappelle lui-même, un spécialiste de Marcel Proust, qu’il désigne d’ailleurs comme un ‘étranger à l’utopie’ (p. 61). Pourtant, lorsqu’il affirme que le mot ‘utopie’ rime avec ‘nostalgie’, que ‘la véritable utopie, c’est-à-dire la rencontre avec le bonheur, ne se situe ni dans un espace différent et éloigné, ni dans un futur riche en progrès, mais dans quelque chose qui est derrière nous, dans un ensemble de valeurs qui ont été perdues et qu’on ne retrouvera jamais’(p. 160), on ne peut s’empêcher de penser à la célèbre formule de Proust dans Le Temps retrouvé: ‘les vrais paradis sont les paradis qu’on a perdus’. De tels croisements intertextuels, qu’ils soient volontaires ou non, ajoutent au plaisir que l’on ressent souvent à la lecture d’Ombres de l’utopie.

Edward Ousselin
Western Washington University
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