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  • L’Énigme-poésie: entretiens avec 21 poètes françaises
  • Hugues Azérad
L’Énigme-poésie: entretiens avec 21 poètes françaises. Édité par John C. Stout. (Chiasma, 27). Amsterdam: Rodopi, 2010. 354 pp. Pb €71.00; $96.00.

La prédiction fulgurante de Rimbaud ‘La femme trouvera de l’inconnu! Ses mondes différeront-ils des nôtres?’ (lettre à Paul Demeny) trouve dans ce livre la réalisation que la littérature française des vingtième et vingt et unième siècles gardait en réserve et que John Stout fait enfin apparaître au grand jour (à la suite des travaux de Gavronsky, Bishop et Sorrell). Cette série d’entretiens avec vingt et une poètes femmes apporte une réponse claire et précise à la question souvent mal posée: mais pourquoi n’y a-t-il pas des Marina Tsvetaeva, Elizabeth Bishop, Sylvia Plath en France? La vraie question, évoquée par le titre L’Énigme-poésie, c’est pourquoi ces poètes qui ont créé des œuvres souvent essentielles, ne sont pas davantage connues et étudiées. Pourquoi, dans la France contemporaine, leurs voix ne se font-elles pas entendre régulièrement sur les ondes ou dans les revues anglo-saxonnes, telles celles de Mary Oliver, Carol Ann Duffy, Jo Shapcott? Stout a eu l’intelligence de deviner l’intention profonde de ces poètes sans chercher à les ramener à une poésie dite ‘féminine’ ou les réduire en écoles, si artificielles et dorénavant beaucoup plus diffuses. De fait, c’est tout un monde qui se révèle au travers de voix qui livrent certains de leurs secrets, et nous font parcourir des trajets biographiques, intellectuels, historiques qui sont fondamentaux pour comprendre la littérature française de l’après-guerre et ses développements les plus récents. La présentation et la structure du livre facilitent cette découverte, en suivant la simple chronologie des entretiens, de 1996 à 2006, présentant brièvement mais de manière éclairante chaque poète, nous livrant au passage quelques poèmes et des repères bibliographiques complets, et nous donnant les balises qui permettront d’explorer les rapports entre la poésie et l’Histoire (la colonisation et la Shoah en particulier) ainsi que les liens étroits tissés entre la poésie et le cinéma, la peinture, la musique (contemporaine et rock) et la tradition littéraire française (Ronsard, Hugo, Nerval, Mallarmé, Proust, Michaux, Char) et internationale (Dante, Emily Dickinson, Elizabeth Bishop, Keats, Stevens, Hölderlin). Les questionnements qui accompagnent ces entretiens renvoient aux mouvements qui ont secoué la poésie française depuis 1945: le lyrisme, toujours renouvelé par un travail sur la subjectivité, la forme et le chant (Marie-Claire Bancquart, Vénus Khoury-Ghata, [End Page 280] Andrée Chedid, Jacqueline Risset) ou l’expérimentation la plus poussée, sous l’égide de l’anti-lyrisme (conception de la poésie délimitée absolument par un langage séparédu monde et non de l’humain) oulipien (Michelle Grangaud) ou post-pongien (Anne Portugal, Jeanne Hyvrard, Liliane Giraudon). Leur positionnement, surtout par rapport à la tradition française, passe de préférence par l’Amérique du Nord (le grand cap poétique et libérateur des années 1960–80). Les voix de ces poètes frappent toutes par l’originalité de leur quête intellectuelle et émotionnelle. Au fil des entretiens viennent affleurer des réflexions aussi complexes que novatrices sur la tradition littéraire, le langage, le rythme, la traduction, la présence des mythes, l’animal, la philosophie et le religieux (horizon mystique qui va de Saint Jean de la Croix à Bataille), l’utopie surtout, toujours soucieuse de concret, d’assurer un regard vigilant sur ce qui garantit notre survivance — universelle celle-là — en tant que communauté d’êtres.

Hugues Azérad
Magdalene College, Cambridge
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