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  • Le Génie de la langue française: études sur les structures imaginaires de la description linguistique à l’âge classique
  • Philippe Caron
Le Génie de la langue française: études sur les structures imaginaires de la description linguistique à l’âge classique. Par Gilles Siouffi. (Bibliothèque de grammaire et de linguistique, 33). Paris: Honoré Champion, 2010. 514 pp. Hb €90.00.

Les dix-septième et dix-huitième siècles sont habités en France par l’obsession de donner du français l’image d’une langue à la hauteur d’un royaume qui vise la suprématie. Cette ambition conduit grammairiens et rhétoriciens à adopter un double point de vue: l’observation du réel langagier d’un côté, le rêve d’une langue parfaite de l’autre. Leur œuvre se fraye donc un chemin entre les deux, et le mot génie est parfois le vecteur de cette seconde approche. Gilles Siouffi présente ses études en deux volets. Le volet plus grammatical met aux prises les grammairiens avec l’ellipse (à contenir dans ses débordements), l’organisation syntaxique (qui doit lier parfaitement les idées), l’article (lieu d’une apologétique de la clarté référentielle) et l’ordre des mots (qui doit mimer l’influx naturel de la pensée). Une multitude de plumes débat copieusement sur ces questions, construisant le mythe de la langue ontologiquement claire. Mais la deuxième partie, surtout rhétorique, offre un paysage apparemment contradictoire: les figures, l’hybridation, l’obscurité, l’agrammaticalité élégante, comment leur faire une place au sein de cet édifice? Là encore il va falloir limiter les outrances, rectifier l’informe pour ne laisser au total que quelques perles baroques artistement placées, le ‘je ne sais quoi’ de Bouhours. Cet ouvrage très largement informé reprend certaines thématiques connues, mais il est passionnant de les voir regroupées par delà les [End Page 528] barrières disciplinaires, montrant une seule inspiration à l’œuvre dans des zones disjointes de l’organisation textuelle. On peut regretter parfois des approximations: d’une part la coexistence, parfois peu glosée, de notions théoriques appartenant à des univers de pensée très différents, d’où une impression de tremblé théorique (absence d’index terminologique en fin de livre). D’autre part des affirmations qui, localement, donnent l’impression de contrevérités. Par exemple ‘Historiquement, le xviie siècle, c’est donc le siècle de la “panne” de la grammaire formelle’, de l’usure du discours grammatical traditionnel (p. 15). Or il n’est pas nécessaire de postuler une panne de la grammaire formelle (p. 18; qu’est-ce qu’une grammaire formelle dans ce contexte?) pour expliquer la naissance du mouvement remarqueur, et par ailleurs, entre Maupas et Port-Royal, il y a Oudin (1632, 1642) et Chiflet (1659). Enfin, dans le lexique, on trouve des termes dont on peut parfois se demander ce qu’ils signifient vraiment; par exemple, grammaire scholastique, grammaire institutionnelle au dix-septième siècle (p. 12), et surtout ‘schéma “de dimension 1”’ (p. 453) et formalité, cette seconde structure que Siouffi propose comme l’équivalent français de innere Form chez Humboldt (pp. 30–31). Or ces concepts sont, comme représentation et structures imaginaires, le socle de sa réflexion. Leur relation demeure en partie opaque au lecteur, faute d’explicitation nette et complète en un seul endroit stratégique du livre. En bref, si le dessein général est fort attractif et souvent convaincant, le détail manifeste çà et là quelque confusion, à la manière d’une belle toile pointilliste qui, de près, laisse un peu perplexe.

Philippe Caron
Université de Poitiers
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