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  • Le Sphinx et l'abîme: sphinx maritimes et énigmes romanesques dans 'Moby Dick' et 'Les Travailleurs de la mer'
  • Edward Ousselin
Le Sphinx et l'abîme: sphinx maritimes et énigmes romanesques dans 'Moby Dick' et 'Les Travailleurs de la mer'. Par Lise Revol-Marzouk. Grenoble: ELLUG, 2008. 332 pp., ill. Pb €30.00.

Pour rapprocher Herman Melville et Victor Hugo autour du symbole antique et protéiforme du sphinx, Lise Revol-Marzouk a déployé, dans cet excellent exemple de littérature comparée, une vaste érudition et un style à la fois précis et évocateur. Ce symbole, aux prolongements qui se révéleront infiniment variables, est d'ailleurs dès le départ dédoublé, puisqu'il s'agit aussi bien de la tête colossale et hiératique du sphinx égyptien que de son homonyme grec, monstre hybride et carnassier liéàla légende d'Œdipe: 'Mythe syncrétique, enfin, voire, par la représentation même de cette transfiguration du symbole égyptien en récit hellénique, mythe des mythes' (p. 25). Qu'il fasse preuve d'immobilité muette ou de loquacité scrutatrice, le sphinx renvoie à l'énigme d'une humanitétâtonnante, en quête de sens et confrontée à des forces naturelles indifférentes ou hostiles. Revol-Marzouk s'applique dans le premier chapitre à expliquer la résurgence littéraire de la figure ténébreuse du sphinx au milieu du dixneuvième siècle, ainsi que sa transmutation métaphorique en monstre marin: 'De part et d'autre de l'Atlantique et à quinze ans d'intervalle, deux grands romans maritimes font en effet intervenir l'image du sphinx' (p. 7). Le 'Livre I', consacréà Moby Dick, prend pour point de départ le chapitre 70 du roman de Melville, intitulé 'The Sphynx', afin d'explorer cette 'figure de l'absence' qu'incarne la gigantesque baleine blanche contre laquelle Achab, lui-même un être hybride et redoutable, s'acharne en vain: 'Achab, Œdipe narcissique, se trouve identifié au monstre légendaire' (p. 140). La lecture approfondie de Revol-Marzouk apporte de nouvelles nuances au fameux 'dumb blankness', plein de sens, de la blancheur exaspérante de la baleine: 'le mutisme du sphinx n'est que l'équivalent vocal de la blancheur du cétacé, la transposition [End Page 258] sonore de son absence visuelle' (p. 79). Dans le 'Livre II', ce n'est pas uniquement la pieuvre anthropophage — émanation des profondeurs encore plus insidieuse que toute baleine — qui dans Les Travailleurs de la mer représente la sourde menace d'un sphinx maritime: 'La figure du sphinx constitue ainsi la véritable capture de la pieuvre, le saisissement même, dans les rets du texte, de sa monstruosité ondulatoire, insaisissable, fondamentalement innommable' (p. 175). La symbolique tératologique s'étend par une sorte de contamination métonymique de la pieuvre à la caverne sous-marine qu'elle habite, à la tempête qui s'abat sur l'écueil isoléoù Gilliatt accomplit son œuvre et son destin, jusqu'à l'océan et ses abîmes insoupçonnés. Revol-Marzouk prolonge son étude du sphinx énigmatique vers l'anankè hugolienne, et trouve (avec raison) des passerelles poétiques entre les lugubres rochers perdus dans l'immensité de l'océan et l'édifice majestueux de Notre-Dame de Paris: 'La comparaison entre ces deux édifices sphinxiaux, les Douvres et Notre-Dame, permet donc de cerner au plus près la pensée hugolienne de l'œuvre littéraire comme monument monstre' (p. 223). Un seul reproche à adresser à l'auteure du Sphinx et l'abîme: la minceur de sa conclusion générale (sous forme d'Épilogue), qui, après ses lectures méticuleuses de deux romans qu'il est possible de qualifier de monumentaux et de monstrueux, aurait gagnéà expliciter davantage leurs points de convergence.

Edward Ousselin
Western Washington University
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