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  • Hygiène et éducation dans Un Mariage scandaleux d’André Léo
  • Barbara Giraud

Léodile Bréra (1824–1900), plus connue sous le nom d’André Léo1 a fait partie de ce groupe de militantes féministes appelées “Pétroleuses” qui, sous la Commune, ont activement pris part à l’insurrection parisienne en vue de créer une société alternative qui offrirait d’autres modes de fonctionnement que celui du Second Empire finissant. Cependant, sa carrière de militante socialiste, de journaliste, et de romancière a commencé bien avant la Commune puisque Un mariage scandaleux, son premier roman, fut écrit en 1862. Il ne fait pas de doute que Léo utilise la fiction essentiellement pour diffuser un “message” qui se caractérise par ses opinions marquées sur la subordination des femmes dans le mariage qu’elle dénonce avec virulence, et qu’elle aborde dans la plupart des romans écrits à la même période, Une Vieille fille (1864), Un Divorce (1866). La fiction accompagne et se nourrit d’une réflexion politique qui prend aussi la forme d’essais, comme celui consacré aux Femmes et les mœurs (1868), dans laquelle elle fournit une réponse idéologique à Proudhon et à Michelet qui, selon elle, “insultent la femme”. En rappelant les principes de 89 qui n’ont pas abouti, Léo remet en cause dans cet ouvrage, et c’est ce qui nous intéresse particulièrement ici, les discours médical et scientifique qui ont inventé la faiblesse physique, nerveuse et intellectuelle de la femme et sa supériorité sentimentale et sensitive.

Or, dans Un Mariage scandaleux le premier roman qu’elle publie en 1862, Léo montre qu’outre le dédain qu’elle éprouve pour les rigoureuses conformités imposées aux femmes—en particulier, celles issues de la bourgeoisie—qui non seulement doivent cacher leurs sentiments derrière le masque de l’ignorance mais aussi perdre leur identité et personnalité dans le processus (Dixon-Fyle 99), elle est aussi sensible à la diffusion des discours scientifiques, et en particulier celui de l’hygiène qui a de fortes connotations sociales. Ainsi, bien que, comme son titre l’indique, Un mariage scandaleux [End Page 81] soulève la question du “scandale” social que constitue la transgression de classes pour l’institution du mariage, c’est aussi une œuvre où la question de l’hygiène émerge de manière persistante à travers la question plus générale de l’éducation des classes laborieuses qu’elle a à cœur de traiter dans cette œuvre de fiction. En effet, l’éducation est le grand cheval de bataille de la carrière politique et fictionnelle d’André Léo et c’est donc dans ce contexte que l’hygiène, qui fait partie intégrante du projet général sur l’éducation des autorités publiques en place à partir des années 1860, apparaît dans le roman.

Ainsi, dans ce roman émanant d’une militante socialiste, disciple, comme son mari Pierre Champseix (d’ailleurs lui-même fils de paysan), de Pierre Leroux, nous nous concentrerons sur la tension centrale qui cherche à la fois à dénoncer un scandale social—celui de Lucie Bertin, fille de la moyenne bourgeoisie désargentée, qui parvient, à force de conviction et d’énergie, à rompre les barrières sociales et à épouser Michel, un jeune paysan qu’elle aime et dont les principales qualités sont l’honnêteté et l’intelligence—tout en s’appuyant en même temps sur le discours dominant en matière d’hygiène, discours qui renforce au contraire les stéréotypes sociaux en les essentialisant, précisément ce que Léo dénonce à propos des femmes dans Les femmes et les mœurs six ans plus tard.

Nous verrons donc en quoi consiste le discours hygiéniste destiné principalement aux classes paysannes puis nous étudierons comment dans ce roman, les concepts d’éducation et d’hygiène s’entremêlent. Enfin, à la lumière du discours sociétal sur l’hygiène, nous tenterons de dégager le vrai propos de l’écrivain mais aussi d’en voir les...

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