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  • Entretien avec Michel Deguy, à propos des Écologiques:Le vendredi 27 juillet 2012, 11h00
  • Julia Holter

Dans le paysage poétique contemporain, Michel Deguy apparaît comme une référence capitale, à l'égal d'un Yves Bonnefoy ou d'un Philippe Jaccottet, des auteurs dont le travail poétique se double, comme le sien, d'un travail de pensée qui confère à leurs œuvres une portée philosophique. À l'articulation des deux disciplines—poésie et philosophie—, l'œuvre de Deguy peut être rapprochée de celle de Derrida, son exact contemporain, né en 1930, dont l'écriture est, comme la sienne, indissociable, d'un étourdissant travail de création verbo-conceptuelle. Philosophe de formation, Michel Deguy enseigna cette discipline pendant une quinzaine d'années avant d'occuper une chaire de littérature française à l'université Paris VIII (Vincennes, actuellement Saint-Denis), dont il est Professeur émérite. Rappelons que, dans ce haut-lieu de la pensée 68, source principale de la French Theory, où ses collègues se nommaient Foucault, Deleuze ou Lyotard, la pluridisciplinarité, l'innovation, et l'expérimentation étaient des pratiques courantes. Au sein d'un tel creuset, Michel Deguy pouvait donner libre cours à son infatigable curiosité et à son indépendance d'esprit. Ces traits de caractère, et en particulier le goût du collectif et du dialogue, se retrouvent dans les multiples activités de celui qui fut tour à tour membre de Tel Quel, du comité de lecture de Gallimard, des comités de rédaction de Critique et des Temps modernes, président du Collège international de philosophie (entre 1989 et 1992), président de la Maison des écrivains et collaborateur de nombreuses revues. Mais c'est probablement le travail de fond effectué par Michel Deguy au sein de la revue Po&sie,1 qu'il créa en 1977, qui illustre le mieux la diversité et la cohérence de sa démarche intellectuelle à la fois ouverte et totalisante. Elle l'amène à s'intéresser, dans un esprit comparatiste, aussi bien aux voix les plus nouvelles, françaises ou étrangères, de "l'extrême contemporain"2 qu'à des poètes ou théoriciens consacrés (Sophocle, Pindare, Hölderlin, Rilke, [End Page 159] Pound, Heidegger, Whitman . . .). Un récent article de Tiphaine Samoyault dans la Quinzaine littéraire décrivait le cérémonial des réunions du comité de la revue dans l'appartement parisien de Michel Deguy, un cénacle d'aujourd'hui où l'amicale émulation des participants témoigne de la possibilité d'un penser collectif. En effet, au sein du comité, la richesse des échanges doit tout autant à l'autorité intellectuelle du poète (primus inter pares, ce dernier sait écouter, arbitrer, initier, proposer, orienter) qu'à la sagacité de ses principaux collaborateurs (Martin Rueff, Claude Mouchard, Gisèle Berkman, Hedi Kaddour, Pierre Oster . . .), eux-mêmes poètes et/ou philosophes.

L'œuvre de Michel Deguy constitue un ensemble foisonnant de poèmes, de proses poétiques, d'essais et de traductions (Hölderlin, Heidegger, Celan . . .). En attendant une édition d'œuvres poétiques complètes, l'essentiel des recueils a été publié chez Gallimard et est accessible au grand public dans la collection "Poésie," sous forme d'anthologies (Poèmes I 1960-1970, Poèmes II 1970-1980, Gisants Poèmes III 1980-1995, Donnant Donnant Poèmes 1960-1980), parues respectivement en 1973, 1986, 1999 et 2006. Depuis son premier recueil, Fragment du cadastre (1960), la dimension autoréflexive apparaît comme la marque de fabrique d'une poésie qui a su se frayer un chemin entre le modèle "romantique" sacralisant la poésie comme expression d'un rapport à l'Être et à la Présence, et le modèle "textualiste," dominant dans les années soixante et soixante-dix à travers des avant-gardes comme Tel Quel ou txt. Il n'est pas facile de proposer une périodisation de cette œuvre même si l'on a bien conscience qu'à partir des recueils Actes (1966), Figurations (1969), dont le sous-titre est Poèmes, propositions, études, et Tombeau de Du Bellay (1973), édités tous...

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