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  • De la décolonisation à l'endo-colonisationTerritorialité, environnement et violence postcoloniale dans les romans de Sony Labou Tansi
  • Étienne-Marie Lassi

La plupart des auteurs qui se sont penchés sur la situation des excolonisés aboutissent à un constat d'échec. Albert Memmi note que l'indépendance n'a pas tenu les promesses d'épanouissement humain et culturel que la jouissance libre de son travail, de son sol et de son sous-sol par l'ex-colonisé devait lui assurer. Au contraire, ce temps nouveau se caractérise encore par la misère et la violence (Memmi 2004, 19). Plus sévère, Achille Mbembe conclut que la décolonisation est un "non-événement." La domination coloniale, écrit-il, a été conçue comme une étape visant à mettre en place des conditions structurelles d'un échange inégal fondées sur une division du travail entre l'ex-colonie et l'ex-métropole. La décolonisation se révèle sans effet du moment que la colonisation a durablement arrimé les colonies au système capitaliste mondial en les spécialisant dans la production des matières premières agricoles et industrielles, de sorte qu'il devient difficile pour l'ex-colonisé de repenser sa relation au monde pour se recréer à partir des formes endogènes de savoir (Mbembe 2010, 58). C'est la même désillusion que constate Mongo Beti pour qui la décolonisation reste à parfaire tant que la diversité culturelle africaine sera ignorée, que la dépendance des Africains à l'égard de l'étranger sera entretenue et que les paysans et le monde rural seront marginalisés (Mongo Beti 2006, 5). La constance qui se dégage de ces portraits désabusés du décolonisé est que ce dernier vit dans le chaos et que la repossession de son univers culturel ainsi que de son environnement géographique par lui-même demeure problématique. Mais quelle relation établir entre ces deux facteurs caractéristiques de la désillusion postcoloniale que sont le chaos sociopolitique et la difficile reconnexion [End Page 163] de l'ex-colonisé avec son environnement géographique? L'objectif de cet article est de répondre à cette question en s'appuyant principalement sur quelques romans de Sony Labou Tansi.

L'univers romanesque de Sony Labou Tansi est assez représentatif de l'Afrique d'après les indépendances et, même si les réalités sociopolitiques dont s'inspirent les romans de cet écrivain congolais ont évolué depuis sa mort en 1995, ses remarques sur les pouvoirs et les sujets postcoloniaux restent actuelles. L'État honteux (1981) dépeint un pays délabré par l'incurie de ses dirigeants tandis que La vie et demie (1979), L'anté-peuple (1983) et Les sept solitudes de Lorsa Lopez (1985) décrivent la misère existentielle respective de l'individu confronté à la brutalité du pouvoir politique, du citoyen broyé par une machine politico-judiciaire aveugle et de la femme engagée dans un combat inégal contre la bureaucratie pour l'honneur et la vérité. Les yeux du volcan (1988) présente quant à lui un peuple qui, asservi par une élite embourgeoisée, attend avec espoir la venue du révolutionnaire qui libèrera le pays. Tous les mécanismes du pouvoir postcolonial ainsi que leurs effets sur les individus et les collectivités sont représentés dans les romans de Sony Labou Tansi, ce qui justifie sans doute que de nombreuses études sur les rapports de force en situation postcoloniale s'y réfèrent.

Dans son étude sur les rapports entre dominants et dominés en contexte postcolonial, Achille Mbembe se sert de La vie et demie et de L'anté-peuple pour illustrer la relation de convivialité qui s'instaure entre gouvernants et gouvernés à travers un usage vulgaire du langage. Mbembe soutient que la prévalence du corps dans le discours social et dans les romans de Sony Labou Tansi s'explique par le fait que, en postcolonie, "le commandement est d'un tempérament luxurieux" (Mbembe 2000, 146). Par conséquent, il ne faut pas interpréter le...

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