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  • La visée tautologique et contradictoire:Capacité langagière chez Emmanuel Hocquard et Jérôme Mauche
  • Philippe Charron

À première vue, tout semble opposer les pratiques d'écriture d'Emmanuel Hocquard et de Jérôme Mauche. En effet, chez le premier, le calme plat, le minimalisme expressif, la qualité amorphe du poème, comme Hocquard le mentionne dans L'invention du verre, sont des aspects qui tendent à l'établissement de moments provisoires de clarté et de sincérité, qui doivent être pris à la lettre et qui n'ont donc pas à être expliqués. À l'inverse, Mauche n'impose aucune retenue à une prose affolée et déroutée par sa propre vitesse. Sa pratique d'écriture s'abandonne alors à une langue débridée ainsi qu'aux dégâts causés par un "placard en flamme"1 devant lesquels chaque proposition ne peut que réitérer que "l'usage de la langue tombe régulièrement sur le plus mauvais côté de la pièce ou quelquefois sur son tranchant."2 Se court-circuitant et ne parvenant qu'à se mordre la queue, cette langue se nourrit de ses propres confusions et des erreurs qu'elles engendrent.

Afin de synthétiser ces deux portraits rapides, nous pourrions avancer qu'Hocquard entretient une visée tautologique3 ("Viviane est Viviane"4), tandis que Mauche cultive une visée contradictoire ("Construction néanmoins n'empêche. Et tout le contraire"5). À partir de ce constat, nous tenterons de montrer comment le geste d'écriture tautologique ne s'épuise pas en lui-même par une saturation identitaire et comment le geste contradictoire s'éloigne du non-sens ainsi que du jeu de la négativité et de l'ontologie de l'absence. Ces attitudes d'écriture s'inscrivent plutôt comme des dispositifs linguistiques qui ouvrent sur le déploiement de possibilités d'usages de notre langage, de l'invention de cas qui ne s'opposent pas au "réel" et qui n'en révèlent pas non plus des aspects qui seraient cachés. Le critère [End Page 97] d'opérativité de la langue n'est dès lors plus la désignation, l'actualisation ou la réification d'entités diverses. Si on a vu au sein du champ poétique moderne et contemporain plusieurs tentatives de "sortie" du "transcendantalisme" et du "représentationnalisme," postures associées à une approche romantique, l'activité poétique demeure portée par la supposition d'un objet qui exerce une tension dans ses rapports avec le langage. Variablement définissable et possédant des traits qui, selon les pratiques, passent du caractère le plus tangible au plus diffus, cet objet prend le plus souvent la forme de l'"être" ou du "réel." On peut par ailleurs identifier deux attitudes qui sont corrélatives à cette entité: d'un côté, la posture "lyrique" est préoccupée par le dévoilement de l'"être." D'un autre côté, une autre approche que l'on peut dire "négative"6 et qui intente une critique à l'endroit de l'idéalisme lyrique, conçoit l'atteinte du réel comme impossible et fait de l'ignorance le moteur d'une pratique poétique qui se renouvellerait dans l'acharnement à saisir ce réel qui est paradoxalement lacunaire. La divergence entre ces deux postures se voit toutefois atténuée par l'élection d'un autre objet, c'est-à-dire la poésie elle-même dont la dynamique autoréférentielle, entretenue notamment par la tâche privilégiée qu'elle s'autorise, contribue à l'entretien du mythe romantique qui établit une frontière stricte entre l'esthétique et les autres pratiques courantes de la vie ordinaire.

Si on est attentif aux cas que nous proposent Hocquard et Mauche, on voit se dessiner une organisation inhérente aux interactions avec l'environnement familier, si bien qu'on peut parler d'un aménagement continu de la pensée, du déploiement d'un "environnement de la pensée"7 qui manifeste des variations soutenues de l'expression et exhibent des situations à chaque...

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