In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

  • La mort au crible de l'humour dans Les morts bizarres de Jean Richepin
  • Jean-François Fournier

C'est sous le titre quelque peu tape-à-l'œil de Les morts bizarres que Jean Richepin fait paraître son premier recueil de contes en 1877.1 La tonalité de l'ensemble est donnée dès l'intitulé d'une brièveté toute journalistique, qui relègue au rang de faits divers et de chroniques la fin malheureuse des protagonistes peuplant les quatorze courts récits.2 Plus qu'une expérience aux tonalités eschatologiques et spirituelles en rapport à un au-delà attendu ou craint, la mort bizarre est d'abord le terme brutal qui vient contenir l'empiètement de l'étrange dans la vie elle-même, ou plus exactement dans les existences toutes particulières d'excentriques rivés à l'accomplissement d'une entreprise rare, héroïque ou simplement crapuleuse. L'excentricité des caractères de Richepin n'est certainement pas unique en cette fin de siècle et ces derniers tiennent leur place dans la galerie des monomanes à raideur obsessionnelle et fantasque qui peupleront les mouvances multiples de la Décadence et du Fumisme. Le recueil Les morts bizarres trouve ainsi place dans un contexte ambiant de décomposition propice aux œuvres percutantes de brièveté et marquées par le morbide et la folie monomane, comme les Contes cruels de Villiers de l'Isle Adam et de Mirbeau ou encore les Histoires désobligeantes de Bloy. Le ton abrasif de dérision et d'humour noir adopté par Richepin positionne quant à lui plus spécifiquement l'œuvre dans le voisinage des contes fumistes, tels ceux des hydropathes et en particulier d'Alphonse Allais.

La question qui guide cette étude sur les Morts bizarres touche à la relation entre un humour noir malmenant des existences aux termes misérables et la forme narrative du conte. Les personnages du recueil connaissent tous des fins dérisoires à la mesure de l'absurde de leur existence, mais qui ont pour but d'amuser voire de choquer le lecteur. [End Page 79] Comment Richepin utilise ou détourne-t-il à sa façon les conventions et composantes du conte classique pour interpeller son public ? Telle est la ligne d'interrogation que nous voulons suivre ici. Pour cela, certaines composantes narratives méritent d'être abordées. La première est la dimension corrective du conte œuvrant à la suppression d'un déséquilibre narratif généré dès l'incipit. La deuxième touche à la substance didactique, ou si l'on préfère, l'existence d'une morale plus ou moins explicite permettant une édification du lecteur. La dernière enfin a trait au format bref des pièces du recueil impulsant un rythme narratif intense à la logique de l'humour. À partir de l'étude de ces trois éléments, nous chercherons à voir comment le conte refaçonné, au moyen d'un travestissement de ses caractéristiques formelles, offre un cadre adéquat de traitement de la mort dans le cadre humoriste rosse de l'époque. Puisque la dimension contextuelle a ici son importance, il importe d'abord d'éclaircir le titre et en particulier l'épithète "bizarre." Son apposition vise certainement à aiguillonner la curiosité du lecteur, mais pour cela il faut en ce dernier une resonance particulière à l'étrange ou l'insolite jusque dans la mort. Nous ouvrirons donc notre propos sur la nature du bizarre, entendu comme force de décalage dans une optique de modernité revendiquée.

Bizarre! Vous avez dit bizarre!

Le titre du recueil titille d'entrée de jeu par le biais de l'énigme. Il porte d'abord en lui une équivoque manifeste à l'endroit du substantif qui renvoie aussi bien à l'événement qu'à la personne. Pour le lecteur, l'ambiguïté est vite dissipée, puisque la bizarrerie de la mort découle généralement de celle psychologique du défunt. Les deux sont donc liés dans la mesure où l'une entraîne l'autre. Pourtant l'accent de Richepin semble être principalement mimétique, au sens aristotélicien de représentatif d...

pdf

Share