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  • Katanga Business—Pale Peko Bantu.Notes sur deux moments de cinéma postcolonial belge
  • Jérémy Hamers

J'étais le personnage principal de service. Même si je n'avais pas choisi de l'être.1

Un hélicoptère survole un vaste paysage fait de terrils, de carrières et de végétation abondante. En off un comédien lit un commentaire:

En plein cœur de l'Afrique, des forêts tropicales à perte de vue. Et sous la forêt, une terre jaune, grise, rouge, riche en minerais, uranium, cobalt, zinc, et cuivre surtout, qui a donné son nom à cette province de la République Démocratique du Congo: Katanga. Des minerais convoités par le monde entier, tant ils sont essentiels aux pays industrialisés et aujourd'hui indispensables au développement de l'Inde et de la Chine.2

Quelques plans fixes sur un paysage rocailleux. A nouveau des terrils, mais cadrés à hauteur d'yeux cette fois. Un gigantesque camion de carrière s'approche de la caméra et la menace à mesure qu'il grandit. Absent de l'image, un jeune Congolais nous dit en swahili:

Kolwezi où il fait bon vivre. C'est ce qu'ils disaient chez nous. Maintenant ce n'est plus vrai. Bon, pas tout à fait [en français dans le texte]. Du cuivre, du cobalt et même de la malachite. Les Belges qui nous ont colonisés, furent les premiers à le découvrir. C'est pourquoi leur société minière y a construit une ville. Le centre était pour les cadres, tous des blancs; les cités, pour nous, ouvriers noirs, ont été construites autour de leurs usines.3

La première citation ouvre Katanga Business, le dernier film en date du réalisateur Thierry Michel, célèbre et célébré pour ses fresques filmiques sur l'ancien Zaïre (Mobutu, roi du Zaïre; Congo River; etc.). La seconde introduit le premier long métrage du jeune réalisateur [End Page 95] Bram Van Paesschen, Pale Peko Bantu Mambo Ayikosake.4 Tournés tous deux en 2008, ces documentaires témoignent de l'intérêt que le cinéma documentaire belge manifeste de façon quasi cyclique pour l'Afrique centrale (Congo River;5 Rwanda, les collines parlent;6 First Elections;7 etc.) et pointent, comme de coutume, la part de responsabilité morale et politique belge dans la catastrophe humanitaire et sociale de plusieurs pays africains.8

Traitant une même réalité, le sort de l'industrie minière katangaise, et célébrés tous deux comme des brûlots "anti-globalisation," Katanga Business et Pale Peko Bantu approchent toutefois leur sujet à partir d'angles thématiques différents, voire opposés. Axé autour d'hommes de pouvoir que Thierry Michel filme avec ruse depuis de longues années déjà,9 Katanga Business dénonce avant tout cette véritable curée qu'est le partage des richesses katangaises (cuivre, cobalt, malachite, uranium) convoitées, gérées et distribuées par les anciens et les nou-veaux puissants du Congo (Belges, Indiens, Chinois, etc.). Le film de Bram Van Paesschen par contre est entièrement articulé autour du seul personnage d'un jeune "creuseur,"10 Isaac, qui se trouve au bas de l'échelle sociale dans ce Katanga dont la fortune fait aussi son malheur. On l'aura compris, si Thierry Michel s'intéresse aux moments forts qui font l'avenir ou le chaos d'un pays, Van Paesschen par contre mesure les conséquences dramatiques de la mondialisation sauvage à l'aune d'un petit personnage dont l'existence est entièrement déterminée par les décisions d'hommes de pouvoir qu'il ne rencontrera jamais.

Dans la suite de cet article, il s'agira, plus que de comparer Katanga Business et Pale Peko Bantu, de les faire se rencontrer, de les mettre en vis-à-vis, afin qu'ils s'éclairent et se révèlent réciproquement. Cette rencontre permettra d'identifier deux approches documentaires diamétralement opposées. Si l'oeuvre de Thierry Michel apparaîtra en effet comme le détournement...

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