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  • Le Québec libre:C.R.A.Z.Y. de Jean-Marc Vallée
  • Maxime Blanchard

Saga québécoise et homosexuelle, C.R.A.Z.Y. de Jean-Marc Vallée ne nomme ni le Québec ni l'homosexualité. Œuvre de folklore, C.R.A.Z.Y. raconte vingt ans d'une famille québécoise archétypique entre 1960 et 1980, les Beaulieu de Montréal-Nord; ce film qui se déroule du début de la Révolution tranquille aux lendemains du premier référendum sur la souveraineté, période faste et forte du politique, ne prononce cependant pas une seule fois le mot de "Québec." Film d'apprentissage, C.R.A.Z.Y. relate simultanément la sortie du placard de Zachary, quatrième fils d'une lignée de cinq garçons; ce film qui met en scène un héros gai, l'enfance et l'adolescence de celui qui s'affirmera, n'énonce pourtant l'homosexualité que par insultes et circonvolutions.

En outre, dans la section "C.R.A.Z.Y. sur le plateau" du DVD du film, acteurs, réalisateur, scénariste et producteur omettent soigneusement les mots de "Québec" et de "Québécois" auxquels ils substituent des expressions plus cryptées (et supposées synonymes) telles que "grande famille" ou "religion." Acteurs, réalisateur, scénariste et producteur ne parlent pas davantage "d'homosexualité" ou "d'homosexuel" et discutent vaguement de "différence." Marc-André Grondin (Zachary Beaulieu, le fils homosexuel) explique qu'il s'agit d'un "film universel qui rejoint tout le monde au point de vue musique [. . .] Tout [End Page 101] le monde a une partie de soi qu'il peut rattacher à Zac [. . .] Tout le monde dans la vie s'est cherché." Quant à elle, Danielle Proulx (Laurianne Beaulieu, la mère) note que le film contient des "traits d'époque tellement marquants [. . .] Tellement de monde vont se reconnaître [. . .]." Pour Michel Côté (Gervais Beaulieu, le père), la famille "normale" de C.R.A.Z.Y. "représente 95% des familles de l'époque." Tout aussi flou, le réalisateur Jean-Marc Vallée renchérit au sujet de cette "famille typique, classe moyenne, de banlieue, de l'époque [. . .] et même d'aujourd'hui." Ni le scénariste François Boulay ni le producteur Pierre Even ne tiennent des propos plus précis sur le Québec ou sur l'homosexualité.1 Comment interpréter cette invraisemblable conspiration du silence? Est-ce une stratégie commerciale concertée? Une tactique pour ne pas agacer un marché international indifférent au Québec? Une censure afin de ne pas intimider un auditoire dérangé par une homosexualité trop affichée?

Tant de précautions, d'ambiguïtés et d'euphémismes, délibérés ou non, révèlent assurément une ambition: celle de faire de "l'universel." Il s'agit, d'une part, de fabriquer un produit "vendeur" et "exportable" et, d'autre part, de faire appel à de consensuels bons sentiments. Premièrement, préoccupation trivialement mercantile, avoir promu un film "trop" québécois ou "trop" homosexuel, donc trop marqué, en aurait immanquablement limité la mise en marché auprès du "grand public" et hors de ses frontières immédiates. En effet, à suivre la logique commerciale prédominante, C.R.A.Z.Y. n'aurait jamais obtenu le succès qu'il a eu si n'avaient pas été tant soit peu neutralisées ses spécificités nationale et sexuelle; les enrayer aurait ainsi permis l'assentiment de la masse des consommateurs habitués aux produits hollywoodiens sans aspérités. Deuxièmement, tendance "artistique" corollaire (quasi "style" de la mondialisation économique), la création contemporaine se prétend "post" (nationale, coloniale, féministe, idéologique, queer, etc.), c'est-à-dire désengagée des combats collectifs au profit du respect des choix individuels, et globale (humanité partagée, frontières abolies, etc.), c'est-à-dire au service d'un impérialisme qui favorise la mobilité, le laissez-faire et l'ouverture des marchés au dé-triment de toute adhésion; aplanir ou...

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