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  • Le Crime de M. Lange de Jean Renoir:Utopie sociale et esprit d'enfance
  • Patrick Louguet

Le théâtre, le vrai, c'estcelui où l'on se trouvepresque dans la réalité,mais sans y être absolument

Arthur Adamov1

Le collectif comme personnage cinématographique, associé à des personnalités fortes

Les films de Jean Renoir sont des films politiques en ce qu'ils mettent toujours en scène, même si à des degrés divers, des collectifs. Qu'il s'agisse des prisonniers de La Grande illusion, ou des invités aux grandes fêtes que le marquis de La Chesnay organise en son château dans La Règle du jeu, jusqu'au Déjeuner sur l'herbe, c'est aussi à des comportements de groupe qu'on a affaire, inscrits dans une logique commune, qu'elle soit active ou projective, de l'ordre de la conduite effective "ici et maintenant" ou d'un idéal plus ou moins utopique. Avec le collectif comme être cinématographique, il y a un principe d'accord de l'éthique et de l'esthétique qui fait partie de son "petit théâtre," celui de "la comédie humaine" que Jean Renoir met en scène en chacun de ses films. Pour autant, l'art du cinéma qu'il met en oeuvre ne l'empêche pas de façonner ses personnages comme des "originaux," voire des "excentriques," de fortes singularités d'affirmations existentielles mises en valeur dans des conduites interindividuelles très contrastées.2 Ces conduites contrastées entre des personnalités fortes régissent en particulier celles des couples qui se font et se défont. Si, pour Jean Renoir, agir c'est s'inscrire dans un agrégat, c'est aussi affirmer joyeusement l'individualité de forces vitales et, en cela, les artistes fictionnels très présents dans son oeuvre sont de véritables [End Page 83] archétypes de conduites marquées tant au plan individuel que collectif: Nana au théâtre et après l'avoir abandonné; Danglard et sa troupe de French Cancan; Camilla et la troupe de commedia dell'arte mais aussi, pour ce qu'ils sont le plus souvent "en représentation,"3 le vice-roi et sa cour d'aristocrates (le choc de ces deux mondes humains dans Le Carrosse d'or). À cette liste de "types humains" on peut aussi ajouter le caissier Legrand, lequel, bien que peintre du dimanche, est un artiste talentueux dans La Chienne.

On peut avancer qu'entre les manières d'Ernst Lubitsch et celles de Jean Renoir d'envisager les relations humaines, avec parfois des accents burlesques—fussent-ils discrets—il y a plus d'un point commun: s'il y a une "Lubitsch touch" il y a, en effet, une "French touch" de Renoir pas si éloignée de celle de l'Allemand expatrié aux U.S.A. et ayant fait, dès 1923, la brillante carrière hollywoodienne qu'on lui connaît.4

L'esprit d'équipe à l'époque du front populaire: détour par La belle équipe de Julien Duvivier

Le principe du collectif—accomplissant l'accord des volontés individuelles au sein d'une réalisation commune, où chacun se reconnaît à un degré ou un autre dans le "Patron"5 et se plie de bonne grâce à ses décisions—régit donc l'édification du film Le crime de M. Lange. Il contribue aussi à ce que, d'une certaine façon, cette oeuvre, dans sa forme achevée, exprime elle aussi ce que Julie Savelli nomme "l'obscure conscience filmante que l'oeuvre a d'elle-même."6 L'esprit d'équipe régit tout autant le tournage que le résultat: il anime sur l'écran le groupe soudé ou la bande de copains, la difficulté ou la complexité en ce lieu étant le meurtre de Batala par Amédée Lange qu'il faudra bien questionner. Mais, auparavant, disons quelques mots sur l'équipe ayant présidé au tournage. Le poète français du XXe siècle Jacques Prévert collabore au Crime de M. Lange. Prévert est tr...

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