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Reviewed by:
  • Pascal Quignard ou le fonds du monde
  • Gaspard Turin
Jean-Louis Pautrot . Pascal Quignard ou le fonds du monde. Amsterdam/New York: Rodopi, 2007. 195 pp.

Avec cette étude monographique, Jean-Louis Pautrot parvient de manière extrêmement convaincante à faire la somme des divers aspects de l'écriture de Pascal Quignard. L'oeuvre de l'un des plus importants écrivains français en activité est en effet tissée de fils si denses qu'en extraire la substance semblait chose difficile.

L'instabilité générique de cette oeuvre et le retour réflexif qu'elle s'impose constamment empêchant également de la faire entrer dans les classifications habituelles de la littérature contemporaine, Pautrot instaure une division de type thématique. Trois perspectives, de loin en loin, guident son étude: le langage, ce bruit si particulier qui [End Page 277] s'oppose au silence comme à la musique; l'origine, lieu et temps mythologiques nourrissant l'imaginaire comme le ferait un cordon ombilical; le monde enfin, sous la forme d'une mémoire colossale revisitant sans cesse le fonds culturel de l'humanité, patrimoine de ruines superposées et labyrinthiques.

Les premiers chapitres sont consacrés aux réflexions que Quignard développe sur la base de sa propre activité d'écrivain. La question du fragment occupe une place importante de l'analyse: objet de réflexion formelle et thématique, matériau d'une "ambition universaliste" (p. 34), il permet d'observer l'une des caractéristiques fondamentales de l'oeuvre quignardienne, à savoir que "l'esthétique de Quignard épouse sa poétique" (38). Il est question, au chapitre 2, des Petits traités, qui "constituent la partie de l'oeuvre la plus caractéristique" (39), notamment sur le plan générique et la prise de position qu'induit le refus du genre, stéréotype et vecteur d'une pensée institutionnalisée. Il ressort de ce chapitre que si la forme du traité "met en avant l'identité du locuteur" comme le dit Blanckeman, il s'agit pour Quignard, plutôt que d'un brouillage générique, d'un recentrement de l'écriture sur le soi. L'universel y côtoie l'intime, "le traité confond les fonds personnel et culturel" (54). Pautrot traite ici remarquablement la question, alors même que l'objet de son étude est plus que tout autre sujet au brouillage entre universel et particulier. La pensée sauvage de Quignard se trouve canalisée—sinon domestiquée.

La partie centrale de l'essai est consacrée à la musique; celle-ci est envisagée par Quignard sous l'angle de l'élégie, de la déploration de la perte. La fonction de la musique étant de retrouver un état prépubère, puis prélinguistique, jusqu'à l'intra-utérin, Pautrot convoque la psychanalyse et Lévi-Strauss pour expliciter le mouvement de régression et de fusion qui préside à la thématique musicale. Ce mouvement orphique conduit à une naturalisation de la littérature pour l'homme, car musique et littérature sont liées profondément; "les deux quêtes rompent avec le langage oral socialisé, et ouvrent au 'lointain appel' originaire et naturel" (94).

Enfin, l'angle envisagé pour parler, aux derniers chapitres, du roman, est très judicieux. Il s'agit d'observer la production romanesque quignardienne face à celle de ses contemporains. Or il existe un relatif manque d'intérêt de la critique pour les romans de Quignard, effet de leur anachronisme en pleine effervescence post-moderne. On y trouve [End Page 278] une forme qui doit en effet plus aux auteurs latins ou à des Montaigne et des La Bruyère qu'à la grande filiation moderne, balzaco-flaubertienne, sous l'égide de laquelle s'est organisé le roman du XXe siècle. Plus de ce soupçon sarrautien: le roman est abandon à la fiction, il est hallucination. Pautrot voit dans le "sordidissime," l'objet qu'à la suite de Lacan Quignard nomme "petit a," dépositaire d'une énigme, détail très souvent traité par Quignard (et notamment dans Sordidissimes (2005), le dernier tome en date de Dernier royaume), la...

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