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  • Révolution politique et vérité intérieureMisère de la poésie d'André Breton
  • Francis Guévremont

Si la position centrale d'André Breton dans l'histoire et l'évolution du surréalisme n'est jamais remise en question, il n'est pas difficile de trouver, même aujourd'hui, des dénonciations de son autocratisme, de la tyrannie apparemment capricieuse avec laquelle il définissait le "vrai" surréalisme et décidait de qui devait être exclu du groupe. Certainement en conséquence de cette autorité, légitime ou non, Breton a fait à son tour l'objet d'attaques personnelles d'une violence parfois étonnante.1 Il est vrai que certaines de ses colères paraissent excessives: on raconte par exemple que Magritte et Breton en vinrent presque aux coups, et se brouillèrent durablement, parce que la femme du peintre portait une croix à son collier.2 Mais on ne saurait expliquer ces conflits et ces luttes par les seules sautes d'humeur de Breton, ou par un quelconque désir égoïste de détenir à lui seul l'autorité absolue:3 ce serait commettre l'erreur de donner trop d'importance à l'anecdotique, au biographique.

Comme l'a si bien démontré Pierre Bourdieu dans Les Règles de l'art, l'enjeu de ces attaques, de ces querelles et de ces excommunications est beaucoup plus grand que la simple mise au jour d'antipathies ou d'ambitions personnelles: "Un des enjeux centraux des rivalités littéraires (. . .) est le monopole de la légitimité littéraire, c'est-à-dire, entre autres choses, le monopole du pouvoir de dire avec autorité qui est autorisé à se dire écrivain (. . .) ou même à dire qui est écrivain et qui a autorité pour dire qui est écrivain; ou, si l'on préfère, le monopole du pouvoir de consécration des producteurs et des produits."4 Le but ultime serait donc de pouvoir déclarer qui est, selon une expression fort employée pendant l'entre-deux-guerres, un "écrivain digne de ce nom." [End Page 73]

C'est aussi sans doute là qu'il faut chercher les raisons du travail constant de Breton pour épurer le groupe: il s'agit de luttes véritablement politiques, dont le but est d'assurer la légitimité du surréalisme. Car assurer et maintenir la pureté artistique du groupe permet, d'une part, de revendiquer l'autonomie de tous les surréalistes (aucune velléité commerciale, en particulier, ne pouvant influencer ou minimiser la portée de leurs œuvres), et, d'autre part, de soutenir l'importance des conséquences sociales de leurs travaux, puisque aucune arrièrepensée de profit, aucun conflit d'intérêt idéologique ou autre ne peuvent ternir ou atténuer les effets de leurs propos. Autrement dit, quand Breton expulse Dalí, ou Desnos, ou Soupault, il s'agit de s'assurer que quand il parlera, en son nom propre ou au nom du surréalisme, de tout ce qui n'est pas strictement littéraire ou artistique, quand par exemple il parlera de politique et de révolution, on le prendra au sérieux.5

En effet, c'est une évidence de dire que, pour Breton, le surréalisme ne pouvait pas se contenter d'être un mouvement littéraire ou artistique; il fallait en faire un outil de transformation du monde, un instrument politique.6 Comme on l'a souvent remarqué,7 c'est précisément cette volonté de transformation totale qui distingue les mouvements d'avant-garde des écoles et des groupes artistiques ou littéraires qui les ont précédés. Mais—Peter Bürger l'a démontré de façon convaincante—faire de la littérature un outil révolutionnaire n'a rien de simple. D'abord, parce que l'autonomie de l'art est elle-même une notion bourgeoise,8 ce qui place l'écrivain dans une position ambiguë puisque critiquer la société implique de critiquer le système qui lui permet de s'exprimer. Et ensuite, parce que l'autonomie artistique, si elle constitue l'une des conditions essentielles de l'existence...

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