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  • L’écriture du Conflit Intérieur dans le Discord de Marguerite de Navarre
  • Valérie Zuchuat

non enim quod volo bonum hoc facio

saint Paul, Rm 7 , 19

L'œuvre poétique de Marguerite de Navarre, essentiellement religieuse, s'inscrit dans un élan d'ascension vers Dieu.1 Dans maints poèmes en effet, la poétesse exprime le désir de s'unir à Dieu et de se fondre en lui. Mais ce désir ne va pas sans difficultés ni souffrances: "Ce que Dieu veult, je ne le puis vouloir: / Ce qu'il ne veult souvent desire avoir. / Qui me constrainct par ennuy importable, / De ce fascheux corps de mort miserable," écrit Marguerite dans le Miroir de l'âme pécheresse. Pour s'élever auprès de Dieu, il lui faudrait pouvoir s'affranchir de son "corps de mort."2

De fait, la lutte entre les aspirations de l'âme et la réalité de la chair revient constamment dans les écrits de la reine, que ce soit dans son oeuvre poétique comme dans l'intense correspondance spirituelle qu'elle a entretenue avec son confident et confesseur, l'évêque de Meaux Guillaume Briçonnet.3 Abondamment cité par l'évêque, saint Paul exprime ce conflit intérieur dans les chapitres 7 et 8 de l'épître aux Romains, notamment: "je ne fais pas le bien, que je veux faire."4 Publié pour la première fois avec le Miroir de l'âme pécheresse en 1531 ,5 le Discord de Marguerite est une reprise poétique mais non systématique de Romains 7 et 8 ; Marguerite lit et réécrit l'épître, et en fait une méditation personnelle.6 Le Discord dit ainsi le conflit perpétuel que se livrent l'esprit et la chair, puis sa résolution, espérée, au moyen de la seule foi: avec l'aide de Dieu, lorsque l'âme levant les yeux y aura mis tout "son pensement," l'esprit s'affranchira de la chair. C'est ce conflit que je me propose d'étudier ici, en analysant de quelle manière [End Page 25] il est repris et quasiment mis en scène par la reine avant d'observer, dans une deuxième partie, les commentaires que Rm 7 a suscités chez les théologiens contemporains de Marguerite: Lefèvre d'Étaples, Luther et dans une moindre mesure Erasme, puis Calvin.7

Le titre

Le titre, constitué de deux parties, est une sorte de table des matières, qui a valeur programmatique. La première partie est un constat, celui de l'opposition: "discord estant en l'homme par la contrarieté de L'esprit et de la Chair," qui se dénoue par-delà le corps: "et paix par vie spirituelle." Un champ lexical dense ("discord," "contrarieté") traduit la lutte intérieure, qui s'apaise donc hors de la chair: tout le poème dit cela—et ne dit que cela, en somme. La deuxième partie du titre rend compte du genre dans lequel s'inscrit le poème: "Qui est annotation8 sur la fin du septiesme chapitre, et commencement du huict. de l'epistre sainct Paul aux Romains." Le poème est une glose, une manière pour Marguerite de méditer la parole divine et de s'en nourrir.9 Ainsi, le titre annonce ce qu'il va faire et fait ce qu'il annonce.10

La structure

La structure elle aussi mérite analyse. Le poème est constitué de vingt-deux strophes11 de sept vers chacune avec, en marge, des références constantes à la Bible, comme dans le Miroir.12 Le vers est un décasyllabe, scindé en 4 /6. Sept: nombre "parfait" ou allusion directe au chapitre 7 de l'épître aux Romains? Rien ne nous empêche de penser que Marguerite ait construit son poème et organisé sa pensée en s'appuyant sur la symbolique des nombres. On connaît l'importance et la fréquence du nombre sept dans la Bible, à commencer par la Genèse et l'Apocalypse.13 Qu'en est-il du nombre vingt-deux? 22...

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