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French Forum 27.1 (2002) 129-147



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Yves Bonnefoy et la poésie à l'affût du monde

Hugh Hochman


"Que faire," demande Bonnefoy, "pour qu'il y ait quelque sens encore à dire Je?" 1 Cette question presque corollaire à l'autonomie du signifiant, à "cet excès des mots sur le sens" (LDI 23), Bonnefoy la pose afin de situer la force de la parole poétique dans un espace vécu où le texte passe à un pouvoir éthique, les mots n'étant plus contraints de représenter un monde par un sens référentiel. Si, à l'âge moderne, l'origine de l'énoncé lyrique n'est pas l'expérience personnelle et un itinéraire d'expression, cela veut-il dire que les mots sont désormais repliés sur eux-mêmes à l'intérieur d'une logique textuelle? L'unique fonction du texte serait-elle de susciter la compétence littéraire et socio- lexicale du lecteur en tant que tel et de remplacer le sujet par un ensemble de règles formelles? Au contraire, le projet mallarméen de céder l'initiative aux mots, poussé à sa fin logique, ranime la force de la parole dans le sens où toute expérience est désormais réglée par des signes. Ainsi le sujet persiste toujours mais seulement (ou pleinement) comme effet de la pratique langagière plutôt que l'inverse. La capacité du texte poétique à médiatiser l'être-au-monde se déclare à mi-chemin entre la référence à un monde préalable et l'analyse des relations intra- ou intertextuelles, car selon Bonnefoy la lecture est cet acte où le lecteur "ne lit pas" (LDI 23) mais se laisse introduire dans une réalité ontologique qui dépasse largement les confins du texte.

Cette manière d'aborder le texte se précise depuis quelque temps, au fur et à mesure que la critique abandonne le modèle purement textualiste de la lecture et vise la réinscription de la parole dans un monde de l'action humaine. 2 Et pourtant l'intuition du pouvoir éthique de la poésie est plus classique qu'elle n'est moderne. Dans la Poétique Aristote définit la mimésis comme l'imitation de l'homme en action, la notion de caractère découlant de celle d'action et non l'inverse, de sorte qu'il ne s'agit pas d'un sujet affectif qui se donne à l'expression mais plutôt d'une hypothèse d'une forme de vie. C'est donc dans ce sens que [End Page 129] Jean-Claude Pinson a voulu réconcilier la phénoménologie et la poétique, décelant dans le texte "une proposition de monde—une proposition quant à une modalité possible de son habitation." 3 Et certes, la poésie d'Yves Bonnefoy, bien loin de réclamer uniquement une disposition critique vis-à-vis du texte, semble demander au lecteur de se situer par rapport à des horizons extérieurs à la réalité du texte et d'entreprendre un contact intime avec la présence qui l'entoure. Faire comme chez soi dans le concret imminent est la contrainte de cette poésie qui invite à une participation à la réalité terrestre.

Selon une telle poétique de l'objet le texte permet au lecteur de partir à la rencontre des choses et de découvrir "toute une terre, rendue d'un coup à sa soif" (LDI 23). Or rien au monde n'est plus proche de nous que notre langage, d'où l'insuffisance du réalisme philosophique à sauver le texte d'un pur textualisme renonçant à tout rapport avec la terre: l'affirmation de la présence des choses si nécessaire à une poétique de l'objet est déçue au moment même de la lecture. Bonnefoy veut mettre les choses à portée de la voix, faisant de la parole la moda-lité du "désir à jamais humain d'être un sujet responsable" (LDI 22). C'est-à-dire responsable de la gestion...

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