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French Forum 26.3 (2001) 1-12



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Le sonnet nombril, ou du bon usage de l'Androgyne (Ronsard, Amours de 1552, LXXII)

Ullrich Langer


Dans l'édition magistrale des Oeuvres complètes de Ronsard, établie par Jean Céard, Daniel Ménager et Michel Simonin, je trouve parmi Les Amours diverses un sonnet dont le début rappelle le genre récent du blason: "Petit nombril, que mon penser adore." Ce poème fait partie du Premier Livre des Amours de 1552 jusqu'en 1578, lorsqu'il sera sagement rangé dans les Amours diverses, et il finira par disparaître de l'édition de 1587. Il subit de même de nombreuses corrections, surtout après 1572. C'est dans sa version primitive que ce sonnet présente en effet le plus grand intérêt: frôlant l'obscénité dans sa conclusion, Ronsard semble bien se moquer de ce même néo-platonisme qui nourrit un grand nombre des autres sonnets adressés à Cassandre. Conscient, ici comme ailleurs, de la portée théorique de son recueil, Ronsard réfléchit par le même geste sur la finalité de la poésie amoureuse, sur l'éloge du nom et sur la composition et l'architecture du sonnet, de ce poème si particulier à forme fixe:

Petit nombril, que mon penser adore,
Non pas mon œil, qui n'eut onques ce bien,
Nombril, de qui l'honneur merite bien
Qu'une grand'vile on lui bastisse encore:
Signe divin, qui divinement ore,
Retiens encor l'Androgyne lien,
Combien & toi, mon mignon, & combien
Tes flancs jumeaus folastrement j'honore!
Ni ce beau chef, ni ces yeux, ni ce front,
Ni ce dous ris, ni cette main qui fond
Mon coeur en source, & de pleurs me fait riche:
Ne me sauroient de leur beau contenter,
Sans esperer quelque fois de tâter
Ton paradis, où mon plaisir se niche. 1 [End Page 1]

La pointe finale, dont la nature franchement érotique est soulignée à la fois par la correction de 1578 ("Ton compagnon où les amours se logent") et par le commentaire bien discret de Muret, rattache l'éloge du nombril à la mode des blasons du corps féminin, surtout lorsque ceux-ci versent dans l'obscène. 2 Loin de donner lieu aux sagesses morales d'un Ficin, dont l'interprétation allégorique avait désexualisé l'image de la réunion des moitiés mâle et femelle de l'être sphérique de sexe "mixte," 3 l'expression "Androgyne lien" déclenche une rapide descente du "penser" érotique vers le sexe féminin: du "nombril" le poète ne peut s'empêcher de passer au "connil." 4 Loin, donc, de faire de l'éloge du corps féminin cette étape dans l'élévation spirituelle vers la perception de la Beauté et de l'Amour divin, Ronsard détourne l'éloge dans le sens d'une célébration du plaisir érotique tout court. A l'élévation de l'âme se substitue ainsi une descente vers la sexualité; la perception de la beauté féminine ne fait que renforcer les liens de la chair. 5

L'éloge du nombril au deuxième quatrain juxtapose avec une virtuosité remarquable l'hyperbole du divin et le glissement anticipé au registre érotique; c'est aussi à cet endroit que le nombril de Cassandre devient pour ainsi dire le nombril du sonnet ... 6

Signe divin, qui divinement ore,
Retiens encor l'Androgyne lien,
Combien & toi, mon mignon, & combien
Tes flancs jumeaus folastrement j'honore! (vv. 5-8)

Le nombril est avant tout signe: c'est-à-dire qu'à travers le nombril le poète "adore," célèbre et signifie autre chose, en l'occurrence, et à un premier niveau de lecture seulement, l'état de quasi-divinité des premiers êtres humains avant la séparation douloureuse des moitiés, dans le célèbre mythe platonicien. La derivatio, figure chère à Ronsard, et propre aux moments d'euphorie, 7 manifeste en plus, par sa...

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