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French Forum 26.3 (2001) 91-110



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Le sujet en souffrance dans l'œuvre de Louis-René des Forêts

Thierry Durand


Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre

- Pascal, Pensées

L'œuvre de Louis-René des Forêts est quelquefois présentée, déclare Yves Bonnefoy, "comme la défense et illustration de l'écriture, au sens que ce dernier mot a pris dans la critique de notre époque." 1 Cette époque, il l'associe à Maurice Blanchot qu'il considère comme le représentant exemplaire d'une critique dont la lucidité inhumaine fait vaciller la littérature vers le "nihilisme de la fiction." Dans "La parole vaine" 2, Blanchot commente Le Bavard 3 selon une perspective qui fait en effet ressortir sa modernité. L'œuvre de des Forêts appartient, déclare-t-il, à "une ère sans naïveté" 4 (dans la même veine, Jean-Louis Baudry définit cette modernité comme un "parti-pris de non-naïveté" 5 ). Aux thèmes du voyage et du mouvement présents dans l'œuvre de Bonnefoy, Blanchot oppose ceux du désert, de la paralysie et de l'exil 6 . Il écrit que "la littérature est une expérience malhonnête et trouble, [...] où la sincérité devient comédie"; Pascal Quignard déclare à sa suite que "le 'jeu' n'est pas tant celui d'écrire, que celui, plus obscur, du désavoeu." 7

Mais, si effectivement "tout est faux et inauthentique dès qu'on s'y arrête", le fond de cette absence, poursuit Blanchot, "est toujours donné à nouveau comme une présence indubitable". S'il ne peut être question, selon l'expression de Starobinski, de "dégager les virtualités du bonheur," 8 il faut donc se demander pourquoi la souffrance liée à cet infini mouvement pendulaire de l'écriture est "digne d'être soufferte." 9 Pourquoi cette obstination du poète à moins de lui ôter (à l'instar de Blanchot) le repos du nihilisme (la certitude du néant)? Bonnefoy va d'ailleurs dans ce sens lorsqu'il parle de "cette dialectique d'abandons et de recommencements, de désarroi et de relative [End Page 91] confiance qu'est la littérature sérieuse" (248). C'est cette ambiguïté, ce double-jeu que nous allons examiner dans l'œuvre de Louis-René des Forêts. Du Bavard à Ostinato s'affirme en effet, malgré un pessimisme certain attaché à l'acte d'écriture, un non moins constant et tenace recommencement, comme si écrire, justement, était cette oscillation dans la question que ne cesse de mettre en scène l'expérience du langage entre la "stérile attente" 10 de Blanchot et la "résurrection du sujet" de Bonnefoy.

Ecriture et vanité

Pour Blanchot, Le Bavard met en branle, en jeu, une parole non seulement décentrée mais aussi duplice: "je me regarde souvent dans la glace" est d'ailleurs la première phrase du récit qui préfigure le "Entrons dans ce rapport" qui ouvre Le Pas au-delà de Maurice Blanchot. 11 Ecrire revient, pour Blanchot comme pour des Forêts, à s'exposer à la fascination de l'image qui n'est pas ici le reflet d'un original mais la dispersion du sujet, sa dissémination ou fragmentation, dans l'espace de l'écriture. Le miroir, peut-on lire dans Voies et détours de la fiction, 12 "ne renvoie à l'esprit que le reflet de son vertige infini." 13

Bien que Le Bavard ne soit pas en fait le premier livre écrit par des Forêts, 14 il se présente aux lecteurs méfiants que nous sommes devenus comme une sorte d'entrée en matière dans une ère du soupçon bien plus dévastatrice, bien plus radicale que celle décrite par Nathalie Sarraute. L'origine du langage y apparaît toujours double, toujours inscrite dans le champ autobiographique d'un constant va-et-vient, d'un aller et retour, d'une dialoguisation qui délimite l'espace...

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