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  • « La Musique comme le monde »:Jacques Réda
  • Marie Joqueviel-Bourjea

Dans le stimulant chapitre des Cinq points cardinaux (2003) intitulé « Où l'on écoute », Jacques Réda prend note des rapports « féconds » et « assidus » des poètes avec la peinture, tandis qu'il relève l' « embarras », « la réserve », « la défiance », sinon « l'hostilité » de la plupart de ses contemporains envers la musique1 . Il en va pour lui tout autrement.

C'est auprès de Mallarmé que l'on trouvera définie cette attitude circonspecte du poète à l'endroit de « la Musique ou ce qu'on est convenu de nommer ainsi, dans l'acception ordinaire »2  : semblable aux « sinueuses et mobiles variations de l'Idée », aux « proches irradiations d'un lever de jour », elle demeure vaine, cependant, « si le langage, par la retrempe et l'essor purifiants du chant, n'y confère un sens »3 .

Insensée pour Claudel, pareillement : « Le voisinage de cette folle qui ne sait pas ce qu'elle dit a été pour tant d'écrivains d'aujourd'hui si pernicieux qu'il est agréable de voir quelqu'un, au nom de la parole articulée, lui fixer sa limite avec autorité »4 .

Essentiellement dépourvue de sens, la musique doit être relayée par une parole chantée qui la rende signifiante ; dé-lirante, c'est à la parole articulée de définir son espace : à l'union originelle a succédé une rivalité d'autant plus féroce que le poète peine à reprendre un bien5 qui se passe sans conteste de ses compétences…

La Mélodie enfante la poésie

Mais à la vanité d'une musique dépourvue de langage, et par là même de sens, pour Mallarmé, à sa folie, pour Claudel, Réda oppose ce qu'il appelle son « surcroît de sens », son éperdue signification :

Le sens de la musique est inexprimable parce qu'il est excessif, et il est excessif parce que la musique, comme le monde, affirme éloquemment qu'elle est, hors toute question de sens. Or une telle affirmation est de nature à heurter celui qui pense que l'aboutissement du monde est un livre, comme celui qui croit qu'un livre en détient le sens définitif6 .

C'est du reste dans le sillage du Nietzsche de La Naissance de la tragédie, que vient corroborer la lecture de son maître en écriture Charles-Albert Cingria—et ainsi à l'encontre de bien des opinions, et de force pratiques— [End Page 43] que Jacques Réda envisage l'antécédence de la musique sur la poésie, sa préséance même (l'avantage est ainsi, simultanément, chronologique et esthétique), de laquelle est né le blues :

Or à l'opposé du dessein grandiose de Mallarmé (c'est de l'intellectuelle parole à son apogée que doit avec plénitude et évidence, résulter, en tant que l'ensemble des rapports existant dans tout, la Musique), c'est devant une majestueuse conséquence que Nietzsche a l'air de s'incliner : la mélodie enfante, et à vrai dire ne cesse d'enfanter la poésie, étant l'élément premier et universel, qui, pour cette raison, peut tolérer plusieurs objectivations et plusieurs textes. Évidemment, Nietzsche ne se soucie pas de l'intellectuelle parole, ayant en vue la chanson populaire en tant que miroir du monde et perpetuum vestigium de l'union du dionysiaque et de l'apollinien. Et le phénomène qu'il décrit avec une vraisemblance très convaincante, parce qu'elle l'inclut dans un processus immémorial, comme naturel, c'est (dans l'impossibilité de le connaître à une époque où il évoluait vers sa forme définitive) le phénomène du blues. Pour Cingria commentant Nietzsche, rien n'est plus évident : il n'y a pas de meilleur exemple à notre époque que l'art anglo-nègre d'Amérique7 .

De fait, on n'oubliera pas que Réda célèbre, depuis plus de quarante ans, la musique jazz8  ; s'il a collaboré au Dictionnaire du Jazz9 , on lira avant tout L...

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