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Reviewed by:
  • Aza ou le Nègre
  • Marie-Hélène Huet (bio)
Aza ou le Nègre, éd. Loic Thommeret London: MHRA, 2011. vi+150pp. £9.99; US$15.00; 11.99€. ISBN 978-1-907322-15-0.

Ce court et remarquable roman, publié en 1792, offre un éloquent réquisitoire contre la traite et l'esclavage à un moment où les affrontements entre le groupe esclavagiste des colons de Saint-Domingue et la Société des Amis des Noirs nourrissaient les débats politiques de l'Assemblée législative. Publié moins d'un an après le premier soulèvement des esclaves de Saint-Domingue, le texte donne une description à la fois sobre et terrible des violences réservées aux esclaves et des supplices publics qui avaient entraîné la révolte d'août 1791. Cette excellente réédition présente un document exceptionnel sur l'esclavage, la pensée révolutionnaire et la fiction engagée au XVIIIe siècle.

Le récit d'Aza proprement dit débute au Sénégal, lorsqu'il est recueilli, après des jours de traversée incertaine, par une peuplade Jalofe (Wolof).

Il raconte alors à ses sauveteurs comment il a été saisi et transporté aux Antilles, ses années de labeur et de cruels châtiments, sa fuite dans les montagnes au cours d'un tremblement de terre et sa participation à la révolte des esclaves. Après avoir été écrasés par les Blancs, la plupart des Noirs sont sauvagement massacrés et Aza se retrouve sur un navire de guerre espagnol. Libéré par un jeune officier français, il s'évade sur un frêle esquif et touche terre enfin sur les côtes africaines. Résistant aux prières de ses sauveteurs, Aza les quittera bientôt pour rejoindre son pays, le Biafra, où il trouvera aussi son père qu'il avait cru mort.

Comme le souligne très justement Loïc Thommeret dans son introduction, ce texte se distingue de la fiction coloniale de multiples façons. Le narrateur anonyme donne très vite la parole à Aza, qui devient ainsi maître de son récit. Ce faisant, note Thommeret, « Aza ou le nègre offre au lecteur un texte débarrassé au maximum des scories du positionnement des personnages fondé sur la dépendance du Noir envers le Blanc » (9). Dès lors, pas de « jugements de valeur condescendants », aucune de ces descriptions physiques subordonnées à l'esthétique européenne (9). Mais surtout, ajoute Thommeret—et c'est peut-être l'aspect le plus frappant du texte—la prise de parole d'Aza ne vise « qu'à mettre ses frères africains en garde et non à solliciter la compassion des blancs » (11). La nouveauté d'une perspective africaine, si fictive soit-elle, transforme profondément le discours anti-esclavagiste, conférant à l'esclave une autonomie morale qui lui avait été jusqu'ici reconnue seulement comme un geste de restitution bienveillante.

Le texte est étonnant de sobriété et d'efficacité narrative. Ce ton détaché et libre de tout pathos, note l'éditeur, renforce encore la dénonciation de la traite. La description des supplices publics, factuelle et froide, n'en est [End Page 479] que plus terrible. Les événements évoqués dans le texte montrent par ailleurs une connaissance très précise de l'histoire de Saint-Domingue, du tremblement de terre du 10 mai 1788 aux révoltes de 1791. La description de la montagne volcanique sur laquelle se réfugie Aza correspond vraisemblablement au volcan de La Vigie.

Le récit d'Aza est encadré et parfois interrompu par un narrateur anonyme qui, s'il s'efface parfaitement du récit de son protagoniste, ne manque pas de s'affirmer dans la préface et les quelques pages qui ouvrent le texte. Il débute ainsi par une adresse assez conventionnelle à la sainte Liberté, « vierge errante, et partout proscrite par les infâmes oppresseurs des peuples », mais implore également Ossian, « chantre immortel », et « ombre vénérable » qui, mieux que tout autre, pourrait lui dicter le « chant mélancolique » des malheurs d'Aza (1...

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