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  • Reviews/Comptes rendus
  • Lucie Desjardins (bio)
Colas Duflo et Luc Ruiz, éds. De Rabelais à Sade (Saint-Étienne: Université de Saint-Étienne, 2003). €20. 131pp. ISBN 2-86272-305-3.

Les grandes philosophies de l'âge classique ont fait de la réflexion sur les passions un objet essentiel de la pensée. Parallèlement, c'est d'abord dans le genre dévalorisé du roman, dont la plasticité permet toutes les expérimentations depuis le regard extérieur d'un narrateur juge de ses personnages jusqu'aux introspections du roman par lettres, qu'on trouve une description du phénomène passionnel à l'œuvre. C'est précisément ce phénomène que tentent de retracer les articles du collectif dirigé par Colas Duflo et Luc Ruiz, De Rabelais à Sade. L'analyse des passions dans le roman de l'âge classique. [End Page 267]

Depuis quelques années, la question des passions connaît un regain d'intérêt. Les ouvrages de Michel Meyer (1991), de Denis Kambouchner (1995) ou de Remo Bodei (1997) par exemple, ont tenté d'examiner le lien qui unirait le corps à ce que la tradition philosophique appelle « l'âme », déterminant ainsi les ressorts fondamentaux du comportement humain. Or, si la question des passions sous l'Ancien Régime relève d'abord des traités de médecine et de ce qu'il est convenu d'appeler les « traités des passions », elle investit également de nombreux textes dont l'objet principal est autre, qu'il s'agisse de la peinture ou de la sculpture, du théâtre ou du roman, de l'éloquence ou de la musique qui cherchent à reproduire les effets des passions. C'est pourquoi la recherche récente adopte volontiers un caractère pluridisciplinaire en mettant en résonance plusieurs formes discursives. Cette démarche suppose que l'on étudie les passions à partir des signes et des marques que celles-ci laissent à la surface du corps, comme en témoignent les travaux de Jean-Jacques Courtine et Claudine Haroche (1988), ceux de Lucie Desjardins (2001), ou encore les deux expositions présentées en 2002 au Musée de la musique de Paris et intitulées Figures de la passion et L'Invention du sentiment. Toutefois, peu d'études ont été exclusivement consacrées au roman.

Or, c'est précisément à l'âge classique que se développe et, pour une bonne part, s'invente le genre romanesque qui prend, pour l'un de ses thèmes principaux, l'analyse du phénomène passionnel. Parmi les douze contributions du recueil, dix portent sur le roman du XVIIIe siècle. Les premiers articles montrent que les passions ne sont pas sans lien avec la dimension sociale et politique. À chaque régime politique correspond, en effet, une passion politique dominante qui devient le moteur des actions individuelles et de la conservation de l'État. On le constate d'abord dans l'article de Céline Spector qui développe l'hypothèse de Jean Starobinski selon laquelle l'expérience menée dans le sérail des Lettres persanes témoigne de l'irrémédiable logique de corruption du despotisme; mais aussi dans celui de Fabienne Brugère qui, à partir d'une lecture de Robinson Crusoé, propose que l'ordonnancement des passions a toujours pour objet un rapport à autrui, au-delà de la dimension morale et religieuse. Sophie Audidière présente, quant à elle, une magnifique lecture du roman de William Godwin Les choses comme elles sont, ou les aventures de Caleb Williams (1794), en illustrant la dégénérescence de toutes les passions dans le cadre politique d'une monarchie qui repose sur le système de l'honneur.

Mais, comme le soulignent Colas Duflo et Luc Ruiz dans leur avant-propos, la représentation des passions dans le roman peut également apparaître comme une volonté d'analyse et de compréhension de l'individu. On en trouvera deux exemples dans la lecture de Rousseau. Dans un premier temps, Annie Becq examine le rôle central de la passion dans la Nouvelle Héloïse et montre, par l'analyse de phénom...

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