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« L'Ame au corps »: récits d'expérience de Descartes à Diderot CarolineJacot Grapa Un fantasme de division, une fascination pour le motifdes membra disjecta, à l'articulation du corps et de la rhétorique, habite différents textes des ???G et XVIHe siècles. On y trouve déclinée une figure dérangeante de mutilation corporelle, d'opération in vivo. La chirurgie et Ia médecine sont dans leur rôle ici, mais elles émergent étrangementsurla philosophie etlafiction, qui en retour, s'approprient et travaillent le récit médical—qu'elles ont pu devancer.1 Deux types de problèmes nous intéressent dans cet article. Premièrement , la circulation d'un scénario et de ses variantes dans des ouvrages marqués par un certain rapport au « savoir », philosophique , (pré)scientifique ou fictionnel. Il est crucial dans les disciplines qui relèvent des sciences de la vie, à une époque de refonte de leur relation à l'expérience du vivant.2 Son écriture interroge l'héritage de Bacon et Newton, selon lequel l'expériencejouait en principe contre hypodièse et fiction renvoyées dos à dos. Deuxièmement, le fait que l'image mise en fiction ouvre la notion ou la sensation d'identité du moi à une expérience—un essai— 1 Voir Anne C. Vila, Enlightenment and Pathology: Sensibility in the Literature and Medicine of Eighteenth-Century France (Baltimore:Johns Hopkins University Press, 1998), p. 3. 2 Claire Salomon-Bayet, L'Institution de la science et l'expérience du vivant: Méthode et expérience à l'Académieroyaledessciences 1666-1793 (Paris: Flammarion, 1978). Cf. Mirko D. Grmek, Le Chaudron deMèdie:L'expérimentation surlevivant dans l'Antiquité (Paris: Le Plessis-Robinson, Institut Syndiélabo, « Les empêcheurs de penser en rond », 1997). EIGHTEENTH-CENTURY FICTION, Volume 16, Number 4,JuIy 2004 520 EIGHTEENTH-CENTURY FICTION impossible, qui en révèle le caractère problématique. Ce scénario touche profondément à l'expérience de soi, à la question de la sensibilité, qui fonde une redéfinition de l'accès à la connaissance et simultanément au savoir de soi. Au moment où la science médicale réinvente l'expérience du vivant, le sujet est conduit à s'interroger sur son « unité » à travers ces récits d'expérience, ces cas étonnants qui mettent en jeu les rapports de l'âme et du corps.3 Le motif de la mutilation permet d'analyser, c'est-à-dire à strictement parler de« diviserpour comprendre », ce toutparticulier qui paraît s'identifier au corps. Il interroge ce qui ne saurait être divisé,4 cet individu délimité par son enveloppe corporelle. Au corps s'appose, s'oppose ou se mêle une âme, un esprit, un moi ou un soi, une conscience: les termes ne manquent pas à cette entité supposée, et leur fluctuation ou leur distribution pourrait être considérée elle-même comme un indice de son caractère problématique. Traditionnellement et idéalement, dans une optique purement « égoïste »,5 ego, le moiserait ce à quoi on accède, le terme d'une connaissance toujours absorbée dans la « connaissance de soi-même ».Jacques Lacan a radicalement mis en question la vision classique du moi imputée à Freud par une certaine lecture, contestant l'idée de ce tout auquel on accéderait,« bien qu'il ne soit par ailleurs qu'une espèce d'achoppement ».6 Or, si l'on peut prétendre par ailleurs, que cette notion de moi a pu dominer la conception de l'individu et de sa vie subjective, je soutiendrai pour ma part qu'elle a très tôt constitué « une espèce d'achoppement »,7 que Ia figure de la dispersion du corps a longtemps mis à l'épreuve. Corps divisé: guerre, droit et religion En deçà du fantasme, on rencontre l'expérience ordinaire. Les champs de bataille ont longtemps hanté la représentation du corps. Ambroise 3 Sur cette question centrale tout au long de notre propos, on renverra à l'article capital de Roselyne Rey, « L'Ame, le corps et le vivant », Histoire de la pensée médicale en Occident, dir...

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