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Toujours UsbekPhilip Stewart Depuis une trentaine d'années les Lettres persanes"ont été beaucoup et bien lues et commentées, au point de n'en laisser, sembleraitil , plus rien à dire. Certains aspects qui furent débattus autrefois, par exemple le statut romanesque de l'œuvre, font à peu près l'unanimité maintenant. Toutefois, comme il peut arriver lorsqu'un consensus est en train de se former, certaines affirmations qui sont acceptées très tôt ne sont plus, par la suite, assujetties à aucun examen sérieux; et c'est sur l'un de ces lieux-communs de la critique qu'il s'agit de porter un nouveau regard ici. L'erreur devenue évidence résulte le plus souvent, comme dans le cas qu'on va évoquer, d'une combinaison de lectures trop littérales (mais trop sélectives) d'un côté, et insuffisamment attentives de l'autre. Quelle que soitl'interprétation globale prêtée en premier lieu auxLettres persanes, à son centre on trouvera toujours l'étrange paradoxe d'Usbek. Observateur perspicace et philosophique des mœurs et institutions occidentales , il n'aurajamais su appliquer à son monde d'origine ni les leçons qu'il tire de ses sept ans en France ni même les principes fondamentaux dont il s'est servi tout au long du livre. Quelque fin analyste qu'il soit de l'occident, le sérail lui reste «un monde clos, parfaitement protégé contre toute atteinte, harmonieusement réglé grâce à l'interdépendance de l'eunuque et des femmes».1 Dès qu'il s'agit de la Perse, toute son expérience semble lui échapper; sa prévention est telle que «les nouvelles de plus en plus alarmantes que lui communiquentles eunuques, ne récusent pas encore l'image a priori, antérieure au voyage, d'un sérail rassurant et soumis».2 Incapable de sortir de sa mentalité orientale lorsque sa propre 1 Pierre Testud, «Les Lettres Persanes roman épistolaire», RHLF (1966), 644. 2 Roger Kempf, «Les Lettres persanes ou le corps absent», Tel Quel 22 (1965), 82. EIGHTEENTH-CENTURY FICTION, Volume 11, Number 2, January 1999 142 EIGHTEENTH-CENTURY FICTION autorité est mise en question au sérail, Usbek néglige de répondre aux nombreux signes de détresse qui en proviennent, puis précipite sa propre tragédie en s'empêtrant de plus en plus dans son rôle de tyran oriental: Ironiquement, le rejet par Usbek du Paris de Rica le fait se cramponner à toutes les valeurs despotiques dont son propre voyage devait être la négation, car ce rejet, aussi bien que son éloignement de son compatriote Rica, constitue une reconnaissance invertie de la menace qui pèse sur les valeurs qu'il représente.3 L'inexplicable aveuglement d'Usbek, universellement constaté et déploré, compromet bizarrement le relativisme qui sans lui constituerait la sagesse triomphante de cette grande œuvre. Ces commentaires qui sont représentatifs résultent d'une tendance très répandue à prendre les mots du texte au pied de la lettre, à lire les missives comme de fiables déclarations d'états de fait. Ainsi, les lettres d'amour de trois femmes d'Usbek au début du roman (lettres 3, 4 et 74) sont... eh bien, tout simplement des lettres d'amour, des «aveux de passion»5 issues de femmes qui en dépit de leur plaintes «laissent au lecteur l'impression très nette qu'elles aiment sincèrement» leur maître.6 Il est vrai que ces lettres sont énergiques, mais il faut bien qu'on se demande ce que le lecteur peut savoir quant à la «passion» ou la «sincérité» de leurs auteurs, vu la situation de contrainte (que les mêmes critiques n'en relèvent pas moins) où vivent leurs auteurs, et vu, partant, le rôle qu'elles doivent jouer intégralement dans la structure même du monde despotique. La lettre 7 de Fatmé— sa seule apparition dans tout le roman—prend laforme d'une expression presque délirante et désespérée de passion; mais comment parviendraiton à évaluer ce qui en fait le fond? Comme on n'a...

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