- Rivalité et solidarité dans la résistance
Jodi A. Byrd, citoyenne de la nation Chickasaw de l’Oklahoma, est professeure en études indiennes américaines et anglaises à l’Université de l’Illinois. Son dernier ouvrage, The Transit of Empire1, analyse les discours, les pratiques et les mécanismes qui assurent la perpétuation du colonialisme aux États-Unis aujourd’hui. L’auteure jette un regard théorique sur la présence de l’autochtonie dans le monde contemporain et démystifie l’idée de l’« indianité » [« indianness »] qui sert le discours national états-unien. Elle aborde la problématique à partir du contexte local de la nation Cherokee en Oklahoma, tout en la situant aussi dans celui plus large de la mondialisation. Son analyse adopte la perspective des études autochtones à l’intersection de la théorie postcoloniale.
Dans les premiers chapitres, Byrd explore les intersections entre les études autochtones, le poststructuralisme et la théorie postcoloniale. Elle fait ensuite ressortir les enchevêtrements entre les processus de racialisation—l’exclusion de groupes à cause de leur identité ethnique—et de colonisation—la prise de possession des territoires et l’élimination de la souveraineté et de l’autonomie des peuples autochtones. Elle explique comment l’image de l’Indien construite par le colonialisme intervient dans la façon dont le gouvernement des États-Unis établit ses politiques concernant les minorités raciales dans le pays et à l’international. Pour ce faire, elle montre comment s’établit une rivalité entre les groupes colonisés et racialisés, entre autres, les Amérindiens de Guyane, les Indiens américains, les esclaves affranchis Cherokee, les Asiatiques-Américains et les Autochtones d’Hawaii2. Cette rivalité [End Page 160] s’inscrit le plus souvent dans une logique hiérarchique que Byrd tente de déconstruire.
Dans ce qui suit, je relèverai certains des concepts qui apparaissent de façon transversale dans le livre et qui permettent d’analyser les relations entre ces groupes de façon horizontale, soit le transit, les « récits d’oppression en concurrence » et la cacophonie. J’expliquerai de quelle façon la compréhension des relations à travers la concurrence entre les différents groupes permet à Byrd de proposer la décolonisation de la résistance. Puis, je montrerai comment cette approche peut favoriser les intersections entre les disciplines et promouvoir une solidarité entre les personnes engagées dans la résistance.
Transit : l’autochtonie comme altérité radicale dans le monde globalisé
Byrd critique l’idéologie du multiculturalisme qui occulte le colonialisme contemporain aux États-Unis. La perpétuation des mécanismes coloniaux se cache derrière l’image d’une nation post-raciale accueillante qui joue le rôle de refuge pour les diasporas transnationales.3 Le multiculturalisme constitue la quintessence de la démocratie par ses valeurs de civilité, de liberté et d’inclusion de toutes les différences. Dans ce contexte, les autochtones sont perçus comme un groupe minoritaire de plus dans la diaspora qui doit accepter l’inclusion dans la nation multiculturelle.4 Autrement, l’image de l’Indien demeure figée dans un temps passé comme figure du sauvage qui doit être civilisé. Cette séparation entre l’indianité et la civilité exclut l’autochtonie du présent et réaffirme la légitimité du projet civilisateur qui, lui, sous-tend l’impérialisme.
En utilisant le concept de « transit », Byrd situe l’autochtonie au centre de la question de la mondialisation et du colonialisme. D’une part, le « transit » réfère à la réification des Indiens dans les politiques actuelles d’inclusion de tous les groupes ethniques aux États-Unis. Le concept de « transit » permet de montrer comment l’image de l’Indien, inclus dans le projet national ou figé dans le temps, est utilisée, de diverses façons, dans les discours officiels sur le multiculturalisme et dans les politiques impérialistes outre-mer comme symbole de civilisation. D’autre part, le « transit » démystifie l’association fréquente des autochtones avec une identité statique, enracin...