Abstract

Nous élaborons, dans cet article, une réflexion critique sur la portée générale que la théorie moderne de la dissuasion prête à la rationalité coûts/bénéfices dans sa conception du passage à l'acte en matière de droit criminel. Suivant les remarques de Niklas Luhmann et de Spencer Brown sur l'observation en tant qu'opération de distinction, nous exposons ce que voilent elles-mêmes les distinctions de la théorie de dissuasion, notamment en ce qui a trait à ces « autres rationalités »—autres que celle qui fut définie dans les termes d'un calcul coûts et bénéfices—pouvant, dans certaines conditions, orienter de façon significative le processus décisionnel du passage à l'acte. Au plan empirique, à partir d'extraits tirés d'entretiens qualitatifs que nous avons réalisés auprès d'individus ayant commis des crimes « graves », nous sommes en mesure d'appuyer cette hypothèse en mettant en évidence le mode opératoire d'une alternative, celle définie dans les termes de la rationalité du risque. Notre analyse permet ainsi de remettre en question, pour le droit criminel, toute une série de postulats chers aux partisans de la dissuasion et de relancer à nouveaux frais, pour la science, un débat présentement stagnant autour des conditions d'efficacité ou d'opérationnalisation de la dissuasion pénale. This article presents a critical examination of the general weight that modern deterrence theory assigns to cost-benefit rationality in its conception of criminal acting out. Following Niklas Luhmann and Spencer Brown, who state that observation means handling distinctions, we reveal what the distinctions in deterrence theory themselves conceal, in particular with respect to these "other rationalities" (that is, rationalities other than rationality defined in terms of cost-benefit calculation), which may, in certain circumstances, have a significant influence on the decision-making process involved in acting out. In empirical terms, based on excerpts from qualitative interviews we conducted with individuals who had committed "serious" crimes, we support this hypothesis by showing the operating procedure for an alternative defined in terms of the rationality of risk. In relation to criminal law, our analysis therefore challenges an entire set of assumptions dear to deterrence advocates; in relation to science, it reopens a now-stagnant debate regarding the criteria for the effectiveness or operationalization of criminal deterrence.

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